Le vernis vert proprement dit n'a, d'après M. Fillon, fait
son apparition en Poitou que sous Philippe-Auguste ou Louis VII. Sous
Saint Louis, l'emploi de la vaisselle de terre prit de l'extension,
et l'on se mit à fabriquer des pièces d'une certaine dimension,
couvertes d'ornements en creux.
Les réparations exécutées sous la monarchie de
juillet à l'église de Belleville, ont amené la
découverte d'un très beau vase et des débris d'un
plat que Fillon estime être de la seconde moitié du XIIIe
siècle, mais que MM. Riocreux et Milet croient d'une date un
peu moins ancienne. Le vase, haut de 0 m 37, est revêtu d'un vernis
vert foncé, d'inégale épaisseur sur ses diverses
parties. Les courants, les fleurs de lis et les quadrillés dont
il est décoré, ont été tracés à
la pointe avant la cuisson et ont été remplis par le vernis,
ce qui les fait presque trancher en noir sur le fond. La plupart des
ornements du plat ont, au contraire, été imprimés
en creux avec un moule ou poinçon, et reliés entre eux
par des linéaments faits à la pointe. Les armes, autant
qu'on peut en juger par les fragments qui subsistent, sont celles de
la maison de Lusignan : burelé d'argent et d'azur (1).
Dans son entier, ce plat avait 0 m 42 de diamètre. Il est pareillement
enduit d'un vernis vert assez foncé. La terre des deux pièces
est rouge et très bien cuite (2).
Vers la même époque apparaissent des vases funéraires
en forme de pin ou d'artichaut, qu'on continua à fabriquer durant
une partie du XIVe siècle. Les plus anciens sont façonnés
à la main au moyen d'appliques en relief ou avec un instrument
. tranchant. Plus tard on se contenta de les mouler.
Ces diverses poteries, dont le système décoratif se rattache
par un côté, à celui employé du Ve au IXe
siècle, n'a jamais été tout à fait abandonné,
quoique les traces laissées par la période intermédiaire
soient fort peu apparentès. Ce système décoratif
contenait en germe celui des faïences sigillées de la Renaissance...
Il y a en ceci, de même .qu'entant d'autres choses, filiation
non interrompue depuis l'époque romaine jusqu'à nos jours.
Le plus curieux vase du XIVe siècle trouvé
en Bas-Poitou, est sans contredit une très grande bouteille de
terre blanche semée de points rouges et de cailloux, dont la
partie inférieure de la panse est revête d'un vernis vert,
tandis que la partie supérieure et le col sont lamés de
la même couleur. Retirée intacte d'un canal voisin du bourg
de Triaize dans le marais de Luçon, elle a été
brisée par son inventeur qui, en ayant fait sortir un blanc de
Charles V, crut qu'un trésor y était caché et n'eut
rien de plus pressé que de le mettre en pièces. Elle ne
devait pas avoir plus de 0 m 45 de hauteur.
On a extrait également un pot vert de l'ancien cimetière
de Saint-Hilaire-des-Loges. Il contenait du charbon, une bague d'argent
et trois ou quatre doubles deniers du roi Jean. Plusieurs autres vases
semblables de forme, mais ayant parfois un petit broc pour verser le
liquide et de simples lames vertes sur leurs surfaces, ont été
exhumés du même cimetière. Tous étaient dé
terre blanche mal préparée.
Indépendamment de ces pièces de dates certaines, nous
avons un document à peu près contemporain, où il
est question de vases de terre. Le 1er juin 1378, un nommé Jourdain
Bégaud., du village de la Poterie, paroisse de Champ-Saint-Père,
faisant déclaration, à Jacques Freslon, chevalier de la
Vieille-Mothe, de ses fours, maison et dépendances, se dit tenu,
par chacun an, de porter à la résidence de son dit -seigneur
une buye verde godronnée et une ponne de buée (lessive).
J'ai déjà fait remarquer ailleurs la persistance du type
dans ce dernier ustensile de ménage qui, depuis le Bas-Empire
n'a pas changé chez, nous de forme.
La contrée qu'habitait au XIVe siècle Jourdain
Bégaud, possède encore d'assez nombreux fours de potiers.
Ç'a été même depuis des centaines d'années
l'industrie de ce coin de terre. Au moyen âge une route qui, de
là, conduisait au port de Saint-Benoît et de Moricq s'appelait
le Chemin des Potiers.
Du territoire de Champ-Saint-Père elle remontait vers le nord
et rencontrait plusieurs autres fabriques, après s'être
séparée en deux branches dont l'une gagnait Beauvoir-sur-Mer,
et l'autre allait au -Pas-Boschet, dans le pays de Retz, où la
vaisselle de terre commune se fait aussi depuis très longtemps.
L'existence de ces voies de communication semblerait indiquer que le
commerce de la poterie s'est fait en Bas-Poitou sur une assez grande
échelle et qu'il y eut une sorte d'association, qui devait remonter
par tradition à l'époque romaine, où les figuli
formaient une corporation indépendante (3). Dans les
villes ils avaient leur quartier particulier. A Luçon il y avait
la rue et la place de la Poterie (4). Il en était
ainsi dans plusieurs autres localités du Bas-Poitou.
Avant de passer à la période suivante il me reste à
dire quel ques mots de carreaux et dallage en terre cuite des temps
antérieurs au règne de Louis XI. Il y en a peut-être
de beaucoup plus anciens que le XIIe siècle, mais
l'échantillon qui se place en tête de ceux venus à
la connaissance de M. Fillon est au plus contemporain d'Aliénor
d'Aquitaine. Il a été trouvé à Mareuil,
est de terre couleur blanc-rose, sans vernis, et porte en. creux un.
fleuron pur roman. Les spécimens des XIIIe et XIVe
siècles sont moins rares. Poitiers, Melle, Vouvent, la chapelle
du cloîtré de Maillezais, le prieuré de Saint-Hilaire
de Grues, etc., nous ont fourni une quantité de variétés
qui la plupart sont de terre rouge et décorées d'ornements
peints en jaune sur fond brun-rouegeâtre. Un seul carreau, du
XIIIe siècle, venant de Melle, a un griffon jaune
sur fond noir.
Mallièvre possédait, vers la fin du XIVe siècle,
une fabrique de ces pavés vernissés, comme l'indique l'inscription
d'un carreau découvert dans l'ancienne abbaye de l'Absie-en-Gâtine
:
GARNER BREVET DE MALA LEPORE
ME FECIT
Sur un second carreau se voit un chasseur â pied, sonnant de
la trompe et armé d'un épieu très aigu. Un chien
l'accompagne. Au-dessous est écrit :
COME GIRAR. AL (comme Girard al)
inscription tronquée, qui prouve que chaque pavé faisait
partie d'un tout figurant des scènes historiques ou de fantaisie
; peut-être les divers tableaux d'une légende pieuse. Le
costume du personnage qui ne porte pas l'épée dénote
la fin du règne de Charles VII ou le commencement de celui de Louis
XI, et rappelle quelque peu l'accoutrement de valets de certains jeux
de carte (5).
On a trouvé dans un carreau très ancien, portant cisconscrit
dans la rosace centrale, les noms de Marie et de Jésus, ainsi
que ceux des mages IASPAR et BALTASAR. On attribuait à ces noms,
introduits dans une formule convenue, une puissance magique, et ce carreau
était spécialement destiné, selon toute vraisemblance,
à protéger le monastère de l'Absie de quelque danger
(6).
Une autre fabrique du même genre existait à la Teblerie
des Grangès-Bourèches de Maillezais. Les travaux exécutés
il y a environ quarante-cinq ans pour faire la chaussée du chemin
de Maillezais à Liez ont amené la découverte de
son four et d'une quantité considérable de carreaux de
terre rouge, incrustés de figures diverses en terre blanche;
et couverts d'un vernis jaune très transparent. On y voit des
hommes d'armes dans l'attitude du combat, ou se donnant la main, des
oiseaux, des aigles à deux têtes, des chiens poursuivant
des lièvres. Plusieurs spécimens bien conservés
ont été déposés au musée archéologique
de Poitiers par les soins de M. Cardin. Benjamin Fillon en possédait
un, représentant un chien à l'arrêt. Tous ces carreaux
lui paraissaient être du XIVe siècle et avoir
été faits pour paver l'église abbatiale de Saint-Pierre
de Maillezais, reconstruite en grande partie en 1328, après qu'elle
eut été érigée, onze années auparavant,
en cathédrale, par Jean XXII. Les carreaux émaillés,
d'une date moins ancienne, trouvés par F. Poëy-d'Avant,
dans l'enceinte de l'ancien évêché de Maillezais,
viennent indubitablement de la mème fabrique (7).
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NOTES:
(1) Les Belleville s'étaient alliés dans
le courant du mur, siècle aux Lusignans, par le mariage de l'un
d'eux avec Isabelle, fille de Hugues XI, comte de la Marche et d'Angouléme.
(2) Fillon. - L'art de terre chez les Poitevins, page
47.
(3) Loi de l'an 337, dans le Cod. Théod., L. XIII,
titre IV, et Cod. Justin, XC. L, XIV.
(4) La poterie de Luçon devait à l'église
Saint-Filbert, la plus ancienne du lieu, un plat pour recevoir l'offerte
le jour de la fête du saint Patron, qui fut l'un des apôtres
de la contrée. (Notes manuscrites de Mgr Brumauld de Beauregard,
possédées par M. Merland, médecin à Luçon)
(5) Fillon. - L'art de terre chez les Poitevins, page
51
(6) Fillon. - L'art de terre chez les Poitevins, page
51.
(7) Fillon. - L'art de terre, chez les Poitevins, pages
53 et 55.
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