Malgré ces quelques échecs et le monstrueux décret
exterminateur du 1er août, les insurgés avaient encore
du courage pour longtemps, et pendant que Tinténiac négocie
avec l'Angleterre, les Vendéens reprennent l'offensive, en
battant à Erigné et à La Roche-des-Murs (26 juillet
1793) Duhoux et Desclozeâux, qui ne peuvent tenir devant les
soldats de Bonchamps et de d'Autichamps.
En cette dernière affaire, dit Pitre-Chevalier, le 6e bataillon
de Paris et le 8e, acculés sur le roc, à cents pieds
au dessus de la Loire, avec leur commandant en tête s'y ensevelirent
avec armes et bagages au cri de Vive la République ! Les
Vendéens admiraient un tel héroïsme, lorsqu'ils
aperçoivent une jeune et belle femme suspendue au bord de l'abîme
avec un enfant dans ses bras. C'était l'épouse du commandant
Bourgeois. - « Rendez-vous, lui crie-t-on de toutes parts, il
ne vous sera fait aucun mal. Mais elle ne veut pas survivre à
son mari (1). Elle répond comme lui : Vive la République
! et se précipite dans le fleuve. Delpeux, caporal du 6e
atteint de deux coups de feu et de quatre coups de sabre, s'assied
seul devant l'armée vendéenne, et lui envoie ses dernières
cartouches en criant : Vive la nation ! (2).
Oui certes, elle devait vivre encore la nation qui comptait des hommes
de cette trempe. Ni Robespierre ni Carrier n'étaient faits
pour épuiser ce sang généreux.
(1) La mémoire de cet évènement
célébré par M. Jeanvrot, conseiller à
la cour d'appel d'Angers a été consacrée par
un monument élevé sur La Roche-de-Mur, au moyen d'une
souscription patriotique à laquelle s'est associée la
ville de Paris, sur le rapport fait par M. Lamouroux au Conseil général
de la Seine en 1891. - Si l'on en croit Chassin, le commandant Bourgeois
put traverser le fleuve à la nage, rallier les restes du 8e
bataillon, dit des Lombards, au 6e de Paris et se trouver à
la réoccupation des Ponts-de-Cé et des buttes d'Erigné
par l'adjudant général Talot qu'accompagnait le représentant
Philippeaux. La Vendée Patriote. - T. II, page 527.
(2) Les Vendéens respectèrent ce brave
qui le lendemain mourait de ses blessures.
LE CAMP DES ROCHES - BARITAUD - BATAILLE
DE CHANTONNAY GAGNÉE PAR LES VENDÉENS (5 Septembre 1793),
HORRIBLE BOUCHERIE. - LE BATAILLON LE VENGEUR
En même temps que l'armée républicaine commandée
par Canclaux était aux prises avec Charrette, au camp des Naudières,
situé à l' embranchement des routes de Montaigu et de
Saint- Philbert-de-Bouaine, le camp des Roches avait été
attaqué avec une ardeur égale par 25.000 hommes des
armées catholiques royales du Centre, de l'Anjou et du Poitou,
venant par Saint-Prouant, Monsireigne et La Châtaigneraie, sous
les ordres du général en chef d'Elbée. L'aile
droite était commandée par Stofflet, et l'aile gauche
par Bonchamps. Le général Lecomte, qui commandait en
l'absence de Tuncq, avait averti Chalbos, mais ce dernier, retenu
à Fontenay avec 3.500 hommes ne put faire aucune diversion.
D'Elbé
Le 5 septembre 1793, au matin, Lecomte (1) fait une reconnaissance
pour s'assurer de la marche et de la force des royalistes.
Rentré à Chantonnay, il envoie les chasseurs de l'Oise
et 15 cavaliers à La Réorthe pour maintenir les communications
de la grande route ; - pour soutenir le 4e bataillon de la Dordogne
qui garde le Pont-Charron, il expédie le 7e bataillon de la
formation d'Orléans. Tandis qu'il va du côté de
Saint-Vincent-Sterlanges avec 150 cavaliers appuyer le bataillon du
Loiret, qui s'y trouve, et faire lever le pont de Gravereau, un adjoint
de l'état-major accourt à toute bride lui dire que le
bataillon de la Dordogne a abandonné le Pont-Charron sans tirer
un coup de fusil dès qu'il a aperçu les rebelles à
plus d'une lieue. - Le jeune Marceau, son-adjudant général,
se porte au-devant des bataillons de la Dordogne et d'Orléans
qui rétrogradent, essaie de les faire tenir sur les hauteurs
de la Tabarière et de la Mouhée, qui dominent Chantonnay
déjà pris. Puis tournant le bourg près de la
Barbotière, court vers deux autres bataillons qui, postés
en avant du Puybelliard se débandent. Il s'épuise en
vains efforts pour les obliger à tenir ferme derrière
les haies et retarder au moins la marche de l'ennemi. Lecomte avec
le 10e d'Orléans, « l'Égalité » ;
« l'Union » et son ancien bataillon, « le Vengeur
» réussit un moment à faire reculer les assaillants,
malgré leur nombre sans cesse croissant. Marceau voudrait charger
avec la cavalerie massée au centre, mais « elle
s'y refuse opiniâtrement par des prétextes aussi coupables
que frivoles. » Lecomte lance les 3e et 6e de la Charente-Inférieure,
avec lesquels le commandant Sagot parvient à ébranler
une seconde fois les colonnes royalistes.
La mêlée devient alors épouvantable : on se bat
corps à corps à l'arme blanche. En vain le bataillon
« Le Vengeur » dirigé par Monet, et le troisième
des Deux-Sèvres, par Prunier, reviennent trois fois à
la charge aux cris de « Vive la nation », le bataillon
du Calvados placé juste au centre quitte sa place et se met
en déroute.
L'ennemi profite de ce vide pour couper en deux les forces républicaines.
Il est neuf heures du soir et le combat dure depuis cinq heures. C'est
un sauve qui peut général. Les fuyards se répandent
dans les bois où ils cherchent leur salut. En vain le général
Lecomte, avec deux bataillons de la Charente, une partie de la gendarmerie
et des hussards, s'efforce de protéger la retraite, Marceau
qui a pu traverser l'ennemi, lui annonce que les troupes du Centre
ont disparu et qu'on ne voit plus que des combats singuliers. A la
faveur des ténèbres, le général peut se
frayer un passage au milieu des brigands, pendant que les débris
de son armée fuient à La Rochelle, à Luçon,
à La Roche-sur-Yon (2).
Sept mille tués ou blessés sur huit mille hommes,
plus de soixante voitures de vivres et de munitions, des canons, de
nombreux fusils aux mains des royalistes, tel fut le résultat
de ce combat acharné, où presque tous les hommes qui
composaient le bataillon « Le Vengeur », moururent au
cri de « Vive la République » (3).
Le chevalier de Mondyon, encore enfant, se distingua ce jour par
un trait au-dessus de son âge. Il se trouvait près d'un
officier de haute taille qui, moins brave que lui, voulait se retirer
en disant qu'il était blessé. - « Je ne vois pas
cela, lui dit l'enfant, et comme votre retraite découragerait
nos gens, si vous faites mine de fuir, je vous brûle la cervelle.
» Il était fort capable de le faire : aussi l'officier
resta-t-il à son poste (4).
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(1) Fils du maitre de poste de Fontenay : marin en 1779-1781
; soldat jusqu'en 1785 ; volontaire au 3e bataillon des Deux-Sèvres
qu'il commanda provisoirement ; commande ensuite le bataillon Le
Vengeur, se distingue à la bataille de Luçon, le
28 juin, général de brigade ; blessé mortellement
à Châtillon, le 11 octobre à l'âge de 29
ans.
(2) Pour plus de détails sur cette sanglante
bataille. (Voir Chassin. La préparation de la guerre de
Vendée, tome II, page 485). - La Vendée Patriote,
tome II, pages 558-59, etc.
(3) Mounet, commandant le Vengeur, pris vivant dans
la terrible lutte, fut peu après fusillé à Mortagne-sur-Sèvre
malgré la prière de Mme de Sapinaud de la Verrie. Ce
bataillon s'était tristement signalé, en ne faisant
aucun quartier aux Vendéens.
(4) Mémoires de Mme de La Rochejaquelein.
INQUIÉTUDES DE LA CONVENTION.
DÉCRET EXTERMINATEUR DU 1er
AOUT 1793
A Paris,la Convention s'animait au bruit de ces victoires répétées.
Enivrée des bruits de la guerre qui lui arrivaient du Nord,
de l'Est et du Midi, ses huits cents représentants frémissaient
à la nouvelle de chaque succès des Vendéens,
et ne voyaient plus cette insurrection avec froideur et dédain.
Les brigands étaient parvenus à se faire redouter de
la République et à mériter son indignation. On
songea alors, pour faire disparaître le foyer même de
l'insurrection, à rayer la Vendée de la carte de France.
" La-Vendée est le chancre qui dévore la France,
fulmina Barrère à la tribune, il faut la brûler,
la détruire ! - La Vendée est le Palatinat de la République
; détruisez la Vendée et vous sauvez la patrie ! C'est
dans les plaies gangreneuses que le médecin porte le fer. C'est
à Mortagne, à Cholet, à Chemillé que le
médecin politique doit employer les mêmes remèdes
! »
Alors le Comité de Salut public porte le 1er août contre
la Vendée un décret exterminateur, d'une effrayante
énergie « La Vendée sera brûlée,
dévastée, dépeuplée (1). - Les fonêts
seront abattues, les repaires des brigands seront détruits,
les récoltes seront coupées par des compagnies d'ouvriers,
les bestiaux seront saisis, et le tout transporté hors du pays (2)
» Pour la défense de sa liberté, le peuple français
va se lever tout entier (3).
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(1) On poussa la, cruauté et le cynisme jusqu'à
demander au chimiste Fourcroy, le moyen d'arriver rapidement à
un empoisonnement général de la Vendée, et à
Angers un fanatique, se disant physicien et alchimiste, présenta
aux députés, une boule de cuir remplie d'une composition
dont la vapeur, dégagée du feu, devait selon lui, asphyxier
tout être vivant, fort loin à la ronde, et on en fit
l'expérience dans une prairie.
(2) Ce décret contient 15 articles, relatés
dans la Vendée Patriote de Chassin. - T. II, pages 609
et 610. Ce décrût fut suivi d'une proclamation de la
Convention, insérée dans le Moniteur du 7 octobre
1793.
(3) La levée en masse fut décidée
dans le district des Sables-d'Olonne par arrêté du conseil
général, du 8 septembre 1793.
LES MAYENÇAIS EN VENDÉE
Plusieurs armées avaient déjà été
lancées contre la Vendée ; on en prépara une
autre, terrible par sa composition autant que par sa renommée.
La capitulation de Mayence, après un siège mémorable,
rendait à la République une de ses armées qui,
pour toute condition, avait juré de laisser s'écouler
une année sans servir contre les alliés. On la dirigea
immédiatement en poste sur la Vendée, sous la conduite
de ce héros épique Kléber, fils d'un ouvrier
terrassier de Strasbourg.
On avait vu jadis le Sénat de Rome, pendant que les armées
d'Annibal, menaçaient la Ville Éternelle, mettre en
vente les terrains qu'occupait le camp carthaginois. Poussée
à bout et faisant tête à la fois à ses
dangers sans nombre, la Convention fit plus, peut-être ; elle
ordonna de vaincre, et fixa à ses généraux le
jour de la victoire. Elle adressa à l'armée la proclamation
suivante :
« Soldats de la liberté ! Il faut que les brigands
de la Vendée soient exterminés avant le 20 octobre.
Le salut de la patrie l'exige, l'impatience du peuple français
le commande, votre courage doit l'accomplir ! »
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RÉUNION AUX HERBIERS DES CHEFS
ROYALISTES
A cette nouvelle, les chefs royalistes s'assemblent aux Herbiers.
lls comptent froidement leurs ennemis et leurs partisans, et ils se
réservent le droit de mourir un contre dix. Comme à
la veille des grandes journées vendéennes, le tocsin
sonne pendant plusieurs jours dans tous les clochers du pays, et bientôt
60.000 hommes se trouvent sous les armes.
« C'est ici l'admirable moment de la Vendée, c'est ici
que ses géants se dressent de toute leur hauteur. Voués
à l'extermination par leurs ennemis, abandonnés par
la monarchie, trahis par l'Europe, les Vendéens jurent tous
de vaincre ou de s'ensevelir sous les débris de leurs chaumières.
» Ils s'élancent avec Charette, avec Lescure, avec La
Rochejaquelein (1), avec Bonchamps, contre la plus admirable armée
de l'Europe, composée de 24.000 Mayençais, de 41.000
soldats des côtes de La Rochelle, de 15.000 soldats des côtes
de Cherbourg, et de 35.000 soldats des côtes de Brest, sans
compter la masse des gardes nationales et des enrôlés
volontaires qui avaient répondu à l'appel de la Convention
(2).
Arrivée à Nantes depuis dix jours seulement, l'armée
de Mayence avait déjà balayé tout le pays entre
Nantes, Clisson et la mer. Admirable de tenue et de discipline, remarquable
par une sorte de luxe militaire, on la découvrait de loin à
ses habits blancs et ses plumets rouges flottants auvent. Enfermée
dans Mayence qu'elle avait défendue pendant trois mois contre
quatre-vingt mille ennemis, elle s'était comme exaltée
de la furie tonnante des canons. Commandée par un grand général,
par Kléber, c'était une armée digne d'Homère.
Elle dévorait le pays sous ses pas ; sa reputation marchait
devant elle : on l'appelait l'invincible (3).
Mayençais
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(1) La Rochejaquelein reçut à Martigné
(10 septembre), une balle qui lui fracassa le pouce de la main droite
en trois endroits, et lui fit au coude une forte contusion ; mais
cette grave blessure ne l'empêcha pas toute fois de tenir son
pistolet à la main. - Néanmoins il ne put assister à
la bataille de Torfou (19 septembre). Cinq jours auparavant (14 septembre),
Stofflet battu par Tureau, à Doué, recevait à
la cuisse la seule blessure qui l'atteignit.
(2) Inutile de dire que toutes ces troupes n'étaient
pas concentrées à Torfou. La plupart des historiens,
fixent à 40.000 hommes les soldats républicains qui
prirent part à la sanglante bataille de Torfou.
(3) La capitulation de Mayence avait eu lieu le 23 juillet
1793. Les Mayençais étaient commandés par Kléber,
Aubert, Dubayet, Beaupuy, Haxo, Vimeux, Sainte Suzanne, Jordy, tous
généraux de premier ordre. On donnait le nom de Mayençais
aux soldats des garnisons de Mayence, de Valenciennes et de Condé.
BATAILLE DE TORFOU-TIFFAUGES (19 Septembre
1793)
Le 19 septembre, l'armée vendéenne venant de Cholet
se rencontre à Torfou face à face avec elle. Marchant
au milieu des flammes qui dévorent leurs moissons et leurs
chaumières, ils vont, ces paysans en sabots qui font trembler
la Convention, se mesurer pour la première fois contre des
bataillons réguliers, valeureux et bien armés.
Presque tous les chefs sont là, sains ou blessés :
Royrand, Bonchamps, d'Elbée, Lescure, Charette, d'Autichamps,
Stofflet.
A minuit, en face des bivouacs ennemis, l'abbé Bernier célèbre
la messe à un autel improvisé, et à la lueur
des torches, bénit quarante mille hommes à genoux (1).
Le lendemain vers neuf heures, Charette, placé avec sa division
en avant-garde du côté de Tiffauges donne le signal de
l'attaque. Il s'élance le premier avec ses cavaliers, franchit
les haies et les fossés et, se jette tête baissée,
suivi de près par son infanterie, sur les premiers bataillons
qu'il rencontre, venant du côté de Torfou. Ce sont ceux
du Jura et de la Nièvre. Un feu terrible et soutenu des lignes
rigides qui s'avancent sur lui d'un pas tranquille et régulier,
l'accueille. On était alors à un quart de lieue de Tiffauges,
dans une petite plaine. Habitués à se battre dans les
chemins ou à travers champs et non à se tenir à
découvert, les paysans, en voyant tomber leurs morts par pelotons
sur le terrain, perdent la tête et commencent, à se débander.
Cependant Charette ne veut pas fuir.
« Camarades, dit-il à ses soldats, c'est ici qu'il faut
vaincre ou périr ! » Ils se reforment à la voix
de leur chef, et tiennent tête à nouveau contre ces ennemis
qui ne reculent d'aucun pas, mais effrayés par le bruit des
obus qu'il ne connaissent pas encore et que fait pleuvoir sur eux
l'artillerie républicaine, ils lâchent bientôt
pied et se sauvent en courant vers Tiffauges, à la débandade,
jetant bas leurs armes et poussant des cris d'épouvante...
Colonne commémorative de la bataille de Torfou-Tiffauges,
élevée vers 1828, par les soins du marquis de la Bretesche.
Alors une lutte d'un nouveau genre arrête les fugitifs. En
ce moment solennel, les femmes de Tiffauges et d'alentour s'étaient
agenouillées dans les rues, priant à haute voix pour
leurs époux et pour leurs enfants. A la vue de leurs défenseurs
en déroute, elles jettent leurs chapelets, s'arment de fourches,
de pierres et de bâtons, et les ramènent de gré
ou de force au combat. Elles supplient les braves, elles assomment
les lâches, elles relèvent les faibles. A tous, elles
montrent l'incendie qui fume au loin et qui va les envelopper de son
cercle de feu...
Moitié par honte, moitié par impossibilité de
passer par-dessus cette bande de femmes effarées qui, les traits
bouleversés, les yeux enflammés les repoussent, ils
s'arrêtent hésitants (2). Leurs officiers les rallient,
les exhortent : ils tournent face.
Tandis que ce drame plein de sublime tristesse se déroule,
Bonchamps, qui n'avait pas couché sur le champ de bataille,
paraît à la tête de sa division, le bras en écharpe,
porté sur un brancard. En passant, il a vu les soldats de Charette
rougir. « Vendéens, s'écrie-t-il,
les Bleus vous regardent ! » et il commence aussitôt
l'attaque.
A ce moment, l'avant-garde des Mayençais débouchait
en effet sur le plateau de Torfou, marchant dans un ordre admirable,
précédée d'une compagnie de sapeurs qui lui frayait
un passage à coup de haches. A la vue de ces bataillons d'élite,
de ces brillants soldats légués à la République
par la monarchie expirante, soldats si bien disciplinés et
manuvrant avec tant de précision, un frisson d'admiration
parcourt les rangs vendéens.
Arrivés en présence l'une de l'autre, les deux armées
s'arrêtent, et comme les gladiateurs antiques, avant d'en venir
aux mains, s'observent un instant en silence. Un cercle immense de
flammes embrase au loin l'horizon et projette entre elles une lueur
effrayante. 80.000 hommes sont rangés en bataille Français
contre Français ! Le moment est solennel.
A la voix de leur canon saint : Marie-Jeanne, les Vendéens
s'élancent de nouveau au combat. Les femmes qui viennent de
ramener au feu les fuyards de Charette abordent le front des Mayençais.
L'une d'entre elles, Perrine Loyseau, de la Gaubretière, abat
de son sabre trois républicains à ses pieds et a le
crâne fendu dans une nouvelle attaque. De part et d'autre le
feu de l'artillerie et de la mousqueterie cause sur toute la ligne
un carnage horrible (3).
Insensiblement, dans la chaleur de la lutte, les soldats de Kléber
et de d'Elbée se sont rapprochés : royalistes et républicains
sont sur le point de franchir le petit ravin qui les sépare
pour en venir aux mains. L'ordre est alors donné à l'artillerie
républicaine de passer le ruisseau qui coule en avant de Torfou,
de gravir une petite colline située de l'autre côté,
pour ensuite de là foudroyer les Vendéens. Les canons
s'engagent dans un petit chemin pierreux, en pente étroite
et roide, à la file, et bientôt la première pièce
débouche sur le pont pour le franchir.
A cet instant - car dans cette bataille il semble que toutes les
actions devaient être extraordinaires - un paysan de Thouarcé
saisit l'importance de ce mouvement. Le premier, sans ordre, il s'élance,
traverse comme un éclair un peloton de soldats, va droit au
conducteur du premier cheval, lui arrache son pistolet, le tue, frappe
le cheval qui tombe sur son cavalier et coupe les traits. Le pont
est encombré, la marche interrompue, toute la file arrêtée
dans le ravin : l'artillerie devient inutile.
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Le paysan retourne à son poste après avoir accompli
l'uvre, d'un général et d'un soldat.
De toutes parts, pendant ce temps, on se bat avec un égal
acharnement. Tandis que de son brancard, l'intrépide Bonchamps
anime ses soldats au combat, Kléber, dont la tête toujours
surmontée d'un panache tricolore, plane au-dessus des bataillons
comme le drapeau de l'armée, donne les preuves d'un rare courage
et prélude par une admirable défense à sa belle
victoire d'Héliopolis. Alignés comme à la parade,
les Mayençais se présentent en ordre fermement debout.
Il faut les rompre et entrer dedans. Impétueux; Charette s'élance
au galop avec ses gars ranimé...
Au premier choc Kléber tombe l'épaule fracassée
d'un coup de feu. Il se relève et retombe ; ses grenadiers
veulent l'entraîner. Kléber refuse et se fait porter
de rang en rang pour encourager ses soldats (4).
Kleber
Cette mâle attitude électrise les Mayençais et
leur rend l'énergie qu'un choc aussi violent leur faisait perdre.
Ils resserrent leurs lignes, et s'avançant au pas de charge
en colonnes serrées, ils enfoncent à la baïonnette
la masse flottante des paysans.
Lescure alors, le brave Lescure, voit que tout est perdu si son aile
est dispersée. Emporté par un sublime élan de
désespoir, il saute à bas de son cheval, arrache un
fusil des mains d'un de ses soldats, et avec cet air de Condé
qui entraîne les bataillons et cette inspiration soudaine qui
trouve les mots héroïques « Y a-t-il quatre cents
hommes de bonne volonté pour mourir avec moi ? »
Il s'en présente dix-sept cents. Ce sont les gas des Echaubroignes,
des Aubiers et de Courlay, commandés par Bourasseau. «
Allez, monsieur le marquis nous vous suivrons où vous voudrez
! » Les soldats s'étaient élevés d'un coup
à la hauteur de leur général. Ils se forment
en colonne, et au pas de course s'élancent sur les Mayençais
en criant : « A mort les Bleus! Pas de quartier ! »
Les Mayençais n'avaient pas idée d'une pareille furie
de combat : ces cris annonçaient tout l'emportement de l'âme.
On ne se bat ainsi que pour des idées et des passions !
Pendant deux heures, ces braves, de concert avec d'Elbée,
arrêtent comme un rempart les Mayençais, échangeant
des coups de fusil sûrs et bien ajustés contre les feux
roulants des républicains ; mais soudain, des cris assourdissants
de « Vive le Roi » se font entendre ; à
droite, à gauche et derrière les Mayençais, véritable
avalanche humaine, une foule énorme déborde et s'éparpille
à travers les champs, les chemins et les bois. Ce sont les
soldats de Bonchamps qui, selon leur habituelle tactique, se sont
égaillés en tous sens et enveloppent d'un, cercle
de feu les colonnes républicaines. Bientôt la Vendée
entière est au milieu d'eux. On choisit son ennemi et on le
vise à bout portant : en quelques instants la mêlée
devient horrible.
Dès que les paysans voient l'ennemi ébranlé,
ils redoublent de cris, et bientôt leurs belliqueux «
Rembarre ! Rembarre ! » dominent le tumulte des arnes.
Enivrés par la chaleur de la lutte ils se ruent jusqu'au milieu
des rangs, se battant à coups de sabre, de crosse et de baïonnette.
Charette reçoit six balles dans ses habits. Bonchamps lui-même,
oubliant sa blessure, se fait hisser sur un cheval, et le pistolet
au poing, se jette éperdûment dans la mêlée
(5).
Malgré des prodiges de valeur les Mayençais chancellent
et plient bientôt devant le flot qui les déborde. Quelques-uns
même de ces valeureux soldats commencent à fuir ; après
une aussi longue et opiniâtre résistance, ils s'épouvantaient
de ces hommes qui n'étaient pas des soldats. En vain le conventionnel
Merlin (de Thionville) les encourage, avec Kléber, de la parole
et de l'exemple. En vain il combat au milieu d'eux à pied et
à cheval avec l'énergie d'un simple soldat. Ces guerriers
jusque là invincibles sont enfin vaincus. Ils reculent pour
la première fois devant le courage vendéen...
Mais Kléber, ce héros dont Napoléon disait plus
tard « qu'il grandissait de vingt coudées dans la bataille
» est toujours à leur tête... et tandis que son
éloquence les soutient, son habileté dispose leur retraite...
Le commencement de la bataille avait montré ce que sont les
Français quand on parle à leur honneur ; la fin appartient
pour la gloire aux Mayençais dans leur défaite.
Ils reculent, ils reculent au milieu d'un pays inconnu, dans des
chemins défoncés, à travers des brandes, des
haies et des arbres épars ; à petits pas ils s'éloignent,
poursuivis de près, en queue et sur les flancs. Ils reculent
et ne fuient pas. De temps en temps ils s'arrêtent, font volte-face
et exécutent des feux de file semblables à des roulements
de tambour.
Puis ils continuent leur route, impassibles, chargeant et déchargeant
leurs armes, emportant au milieu d'eux leur général
blessé, perdant des hommes à chaque pas, mais refermant
leurs brèches et jamais entamés. Plusieurs de leurs
officiers se brûlent la cervelle pour échapper à
la honte d'être faits prisonniers ; une femme, qui se trouve
avec eux, les imite dans leur désespoir.
Deux lieues se font ainsi, sans relâche et sans quartier. Il
avait été décidé, avant la bataille, que
les Mayençais seraient considérés comme parjures
à la capitulation par eux consentie aux alliés du roi
de France, et qu'on tuerait impitoyablement tout ce qui tomberait
sous la main.
Poursuivie sans répit et partout débordée, l'armée
républicaine n'a, pour s'échapper, qu'une seule issue,
le pont du ruisseau de Gétigné, au-dessous de Boussay.
Les Vendéens s'avancent ; ils arrivent et vont couper l'armée
qui va trouver là son tombeau. Déjà des cris
de panique poussés par les soldats de Merlin se font entendre
: « Nous sommes coupés ! Nous sommes coupés
! »
Mais de même que Lescure n'avait pas douté de ses Vendéens,
Kleber était digne de ses soldats ; il les crut capables de
mourir. Il braque deux pièces de canon sur le pont. Il arrête
le colonel Chevardin, commandant des chasseurs de Saône-et Loire
: « Mets-toi là, lui dit-il, et fais-toi tuer avec
ton bataillon ! » Chevardin ne dit qu'un
mot : « Oui, mon général ! » Il y
mourut.
Le reste de l'armée fut sauvée ! (6).
Ce grand combat avait duré sept heures : de part et d'autre,
on n'avait point fait de prisonniers et le massacre avait été
horrible. Plus de quatre mille cadavres jonchaient le sol à
trois lieues de distance. « Jamais, dit Kleber dans son
rapport à la Convention, on ne vit un combat, un acharnement
plus terribles ! Les rebelles combattaient comme des tigres, et mes
soldats comme des lions ! »
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(1) Le gros de la division de Charette se tenait du
côté de Tiffauges, un peu en arrière du bourg
de Torfou, occupé par 300 fantassins et 200 cavaliers, sous
les ordres de la Robrie. L'armée de d'Elbée campait
aux Quatres-Routes ; celle de Lescure formait l'aile gauche et celle
de Bonchamps, l'aile droite. - Royrand était en réserve
à Tiffauges. - Mémoires de Kléber.
(2) Parmi ces femmes, une, Jeanne Giraudelle, énergique
et courageuse commère qui tenait l'Hôtel de la Croix-d'Or
à Montaigu, jetant les yeux du côté du chemin,
aperçoit des soldats en déroute et parmi eux le père
Oliveau, son mari, que les circonstances avaient forcé de prendre
les armes, mais qui, de la tête aux pieds n'avait absolument
rien de militaire.
Saisir une trique de bois mort, escalader le talus de
la route et tomber à bras raccourci sur son timide époux,
tout cela fut l'affaire d'un moment.
-Ah ! lâche ! ah ! gredin ! ah !soldat de deux
sous ! va ! criait-elle de toute la force de ses poumons, accompagnant
d'un coup vigoureux chacune de ses épithètes flétrissantes,
je t'apprendrai moi, à tourner ainsi le dos aux ennemis qui,
viennent brûler nos maisons !
La grande taille de la mère Giraudelle, ses yeux
qui lançaient des éclairs, ses cheveux noirs qui s'échappaient
à flots abondants de sa coiffe, posée de travers, le
lieu de la scène, parsemé de rochers sauvages et couvert
de grands chênes, les cris lointains des combattants, tout contribuait
à donner à cette Vendéenne l'air inspiré
de l'antique druidesse gauloise.
Frappés de cette apparition étrange, les
fuyards s'arrêtèrent immobiles et stupéfaits.
(Les Aventures du Bonhomme Quatorze p. 207. - La Vendée
Militaire par Prunier, pages 109-110).
(3) C'est alors que se livra véritablement sur
tous les points, ce grand combat dont le théâtre embrasse
à droite et à gauche sur plus d'une lieue de front,
tout le terrain compris entre les quatre routes, Torfou et Tiffauges.
- Une croix élevée à un kilomètre de Torfou,
indique le centre de la bataille.
(4) Blessé à 10 heures du matin, il ne
se lit panser qu'à 5 heures du soir seulement.
(5) « On eût dit, rapporte Chateaubriand,
comme une bataille aux enfers. »
(6) Nulle inscription, nul souvenir ne rappelle le sublime
dévouement de ce moderne Léonidas. Et cependant, combien
ont été statufiés qui l'ont certes moins mérité
! - Ne pourrait-on pas faire à Chevardin, l'aumône d'un
obélisque commémoratif, sur lequel on lirait gravé
par exemple, cette simple inscription
LA VENDÉE,
ADMIRANT CE QUI EST GRAND, NOBLE ET GÉNÉREUX
A ÉLEVÉ CE MONUMENT A CHEVARDIN, SON ENNEMI.
PAIX AUX BRAVES.
AFFAIRES DE MONTAIGU (21 Septembre)
ET DE SAINT-FULGENT (22 Septembre)
COMBAT HOMÉRIQUE
Le lendemain, Charette et Lescure couronnent leur victoire en allant
surprendre dans Montaigu la colonne du général Beysser.
Mal gardée, cette division aurait été anéantie
sans l'énergie et les efforts du représentant Cavaignac,
qui faillit périr dans la mêlée, et sans la valeur
des 79e et 109e régiments qui soutinrent la retraite. Les Vendéens
firent un grand carnage dans la ville et passèrent les prisonniers
au fil de l'épée. Le. malheureux Beysser, grièvement
blessé, navré de douleur, fut suspendu de ses fonctions
malgré sa vaillante conduite. Accusé de fédéralisme,
il ne paraît plus dans l'histoire que pour monter sur l'échafaud.
Profitant de cet avantage, Charette et Lescure marchent sur Saint-Fulgent
ou se trouvait la division du général Mieskowski, forte
de 6.000 hommes. Ils l'attaquent à l'improviste, et malgré
une défense opiniâtre, la poussent devant eux au milieu
de la nuit ; jamais rien de si horrible ne s'était encore vu
dans cette épouvantable guerre. Blancs et Bleus, confondus
dans l'obscurité de la nuit, puisaient leurs cartouches aux
mêmes caissons pour se fusiller à bout portant. Mieskowski
et Charette s'entendaient l'un et l'autre, animant leurs soldats à
vingt mètres de distance.
A travers les cris des mourants et des blessés, on entendait
retentir l'air sinistre du Ça ira, joué par dérision
sur un flageolet par un cavalier de la compagnie suisse, nommé
Rynks (1). Entre deux couplets, dit Mme de la Rochejaquelein, un boulet
emporta la tête de son cheval ; Rynks se releva tranquillement,
s'assit sur une borne et continua ainsi son audacieuse ironie jusqu'à
la mort du dernier Bleu.
Enfin Charette voulant en. finir, prend un tambour en croupe, lui
ordonne de battre la charge, et avec Joly, Savin et trente :soldats,
il pénètre dans la longue rue de Saint-Fulgent. Lescure
arrive pour l'appuyer et décide de la victoire. Les deux bataillons
de la Marne et d'Angoulême sont anéantis. Mieskowski
prend la fuite, laissant entre les mains des vainqueurs 22 canons,
des munitions en abondance et une grande partie de ses équipages.
Du 18 au 22 septembre, les insurgés venaient de gagner cinq
grandes batailles, à Coron, au Pont-Barré, à
Torfou, à Montaigu et à Saint-Fulgent. Dans toutes les
paroisses de la Vendée, des Te Deum d'actions de grâces
furent chantés pour remercier le ciel de cette quintuple victoire.
A ce moment, les Vendéens se crurent sauvés. Mais le
peuple, que le courage de ses ennemis n'avait pu vaincre, la discorde
de ses chefs l'allait perdre.
En laissant ses collègues dans l'isolement et en se séparant
d'eux sous prétexte d'un futile mécontentement, pour
aller seul combattre dans le Marais, en laissant à la Galissonnière,
Bonchamps lutter désavantageusement (22 septembre) contre les
debris de l'armée de Mayence, Charette porta un coup irréparable
à la Vendée, dont il entraîna la perte ainsi que
la sienne.
La crise allait bientôt éclater après les affaires
malheureuses de la Chardière, de Saint-Symphorien, du Moulin-aux-Chèvres
et de Châtillon. Vaincus à Châtillon par Westermann
(9 octobre 1793), les chefs vendéens rassemblés à
Beaupréau délibèrent sur le parti qui reste à
prendre. Sur les conseils de Bonchamps, il est décidé
qu'on passera la Loire pour aller ensuite insurger la Bretagne. Avant
de jouer ainsi le sort de la Vendée, il fut décidé
que la grande armée tenterait un dernier effort pour conserver
Cholet, ce rempart de la Vendée, cerné de toutes parts
par Kléber. Avant d'engager le combat, un détachement
de 4.000 hommes, commandé par Talmont et d'Autichamps, va s'emparer
de Varades et d'Ancenis, afin d'assurer à tout événement
le passage du fleuve.
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(1) Les chroniques de la Gaubretière attribuent
ce trait à un nommé Planchot, qui ne cessa de jouer
du Çà ira, jusqu'au moment ou il tomba mortellement
blessé d'un coup de feu.
BATAILLE DE CHOLET (16 Octobre 1793)
PASSAGE DE LA LOIRE (18 Octobre)
Enfin, le 16 octobre 1793 se leva sur notre infortuné pays.
L'heure décisive allait sonner pour l'armée royaliste.
Chefs et soldats se préparèrent à vaincre ou
à mourir dans un généreux effort.
Cette bataille de Cholet fut véritablement une lutte de géants.
Chacun des deux adversaires savait qu'il allait jouer la partie suprême
et Kleber (1), Haxo, Beaupuy et Marceau d'un côté ; de
l'autre Bonchamps, d'Elbée, Stofflet et la Rochejaquelein grandirent
leur courage jusqu'à l'héroïsme. Jamais Kleber
et, ses Mayençais, qui avaient cependant lutté contre
les plus braves soldats de l'Europe, n'avaient vu en face d'eux de
pareils adversaires. Ce jour-là en effet les hommes du Bocage
ne s'égaillèrent pas. Précédé d'un
étendard, que l'on avait, dit-on, taillé dans la robe
de noce de Mme de Lescure, il marchent pour la première fois
en colonnes serrées sur les troupes républicaines, qui
reviennent d'incendier en partie Mortagne (2). Intrépides comme
toujours dans l'attaque, ils restent stoïquement sous le feu
des bleus, qui au nombre de 21.000 couvraient le plateau de La Haie
et cernaient la ville de Cholet, depuis la Grange jusqu'à Sainte-Mélaine.
Il était environ une heure lorsque la division de la Rochejaquelein
vint dans la lande de la Papinière, se heurter à la
brigade de Beaupuy qu'elle culbute. Vainement Beaupuy couvre de mitraille
la colonne vendéenne et fait appel à sa réserve
: sa réserve est repoussée. Renversé de cheval,
il se relève, court à la légion des Francs et
ordonne de charger. Les chasseurs chargent, mais criblés de
balles ils tournent bride et s'enfuient. - D'Elbée et Bonchamps
de leur côté abordent le centre républicain commandé
par Marceau, et leur artillerie, crible de projectiles la colonne
de Luçon, qui décimée recule. Les Vendéens
poussent des cris de triomphe pendant que Marceau anime et retient
ses soldats. - Le terrain est des deux côtés disputé
avec un égal acharnement. On se fusille à bout portant,
on s'égorge à l'arme blanche ; chaque homme frappe et
tue devant lui sans voir ce qui se passe ailleurs.
L'arrivée de la division de Chalbos appelée par Kléber,
ne peut encore donner l'avantage aux républicains : les nouveaux
arrivés, en présence de l'affreux carnage qu'ils ont
sous les yeux reculent épouvantés, et malgré
des prodiges de valeur de part et d'autres les Vendéens semblaient
avoir l'avantage, lorsque l'arrivée du 109e régiment,
campé à la Treille jette le désarroi dans la
colonne de la Rochejaquelein. - Tout à coup, le bruit se répand
qu'une nouvelle armée républicaine se montre sur le
derrière des Vendéens, et bientôt on entend une
immense clameur de : A la Loire ! à la Loire !
Ce cri trouble et fait hésiter les plus braves, et dans leurs
rangs se manifeste une certaine hésitation, dont Beaupuy se
hâte de profiter, en chargeant vigoureusement la droite vendéenne,
qui malgré les efforts de La Rocbejaquelein, faiblit, recule
et se debande. - En ce moment, un messager venait d'annoncer à
Bonchamps la prise de Varades. - Consterné par l'échec
des soldats de La Rochejaquelein, il veut tenter un suprême
effort pour briser la résistance de Marceau avant qu'Haxo ne
l'ait secouru. C'est alors que dans un sublime élan d'héroïsme,
d'Elbée, La Rochejaquelein, Stofflet, Royrand, Sapinaud et
lui, se décident à tenter un dernier effort et à
s'ensevelir, s'ils échouent, sous les debris de la Grande Armée.
Ils groupent autour d'eux leurs meilleurs officiers, Foret, Renou,
Desessart, Cadi, Ville-Baugé, les deux Soyer, etc., les capitaines
de paroisse, l'élite de ces vieilles bandes endurcies par six
mois d'une guerre sans merci. Formée en masse compacte, cette
phalange des braves marche droit à l'ennemi pour le saisir
et le terrasser dans un corps à corps désespéré.
Elle fusille, elle sabre, elle renverse tout ce qui résiste
à ses coups ; elle avance toujours sous les volées formidables
de l'artillerie de Marceau, qui les décime autour de la métairie
de Bégrolle. Il est six heures du soir et le combat se prolonge
dans l'obscurité de la nuit. L'état-major de Kleber
perd à lui seul quatorze généraux de brigade.
Mais dans cette affreuse mélée, d'Elbée et Bonchamps
sont presque en même temps blessés mortellement, comme
l'avait été l'avant-veille Lescure à l'affaire
de La Tremblaye.
La déroute de Cholet. - Vers la Loire (Octobre
1793), D'après un tableau de Girardet.
« Les Vendéens combattaient comme des tigres, écrivait
le lendemain Kléber à la Convention, et, nos soldats
comme des lions. » Avec d'Elbée et Bonchamps disparaissait
la dernière chance de disputer la victoire. - Affolés,
les Vendéens se précipitent comme un torrent vers la
Loire, en emportant leurs généraux blessés. Ils
traversent Beaupréau (3) sans presque s'y arrêter, dévorent
cinq lieues de pays, arrivent le 18 octobre au matin sur les rives
du fleuve, suivis de plus de soixante-mille paysans de tout âge
et de tout sexe, s'y jettent et le passent à Saint-Florent.
C'était comme le convoi funèbre de la Vendée,
éclairé par les sinistres lueurs que l'incendie de Cholet
projetait à l'horizon.
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(1) Depuis le 30 septembre 1793, Kléber avait
été placé sous les ordres de l'incapable Léchelle,
ancien maître-d'armes de Saintes, nommé général
en chef de l'Ouest.
(2) La veille et l'avant-veille (14 et 15 octobre),
les Vendéens avaient subi deux échecs à la Tremblaye
et à Saint-Christophe, près Mortagne, qui avait été
évacué le 15.
(3) D'Elbée, Bonchamps et de Lescure se
rencontrèrent â Beaupréau pour se dire le suprême
adieu. Ils unirent leurs dernières forces au courage de la
Rochejaquelein et ils sauvèrent les débris de leurs
trois armées.
HAUDAUDINE LE RÉGULUS NANTAIS
Là eut lieu une de ces scènes sublimes, qui au milieu
de tant d'horreurs réconcilient avec l'humanité, et
font pâlir ces hauts faits de l'antiquité qu'un enseignement
traditionnel a légués à notre admiration.
On avait fait de part et d'autre de nombreux prisonniers, et, désireux
d'en obtenir l'échange, les Vendéens envoyèrent
sur parole à Nantes, pour y traiter de cette affaire, un jeune
négociant, nommé Haudaudine, qui jura de venir rapporter,
favorable ou non, la réponse des autorités de Nantes.
Cinq mille soldats républicains, restés aux mains des
insurgés, seront impitoyablement massacrés s'il manque
à ses engagements. Jusque-là, le commandant de la place
de Cholet, Cesbrons d'Argognes, les prend sous sa sauvegarde ; c'est
là qu'Haudaudine, s'il échoue dans sa mission, viendra
les rejoindre pour partager le sort commun.
L'humanité seule commandait que l'on prit en sérieuse
considération une proposition semblable. Mais il semble qu'à
cette époque extraordinaire les hommes fussent de bronze, et
que rien d'humain ne battit dans leur poitrine. Amené devant
les commissaires du gouvernement, Haudaudine imposa silence à
ce sentiment pour ne laisser parler que la voix de la politique. «
Les prisonniers royalistes, dit-il, à cause des noms que portent
plusieurs d'entre eux, ont pour les Bleus une importance beaucoup
plus grande que celle que les prisonniers patriotes peuvent avoir
pour les royalistes. D'ailleurs, toute transaction avec les Vendéens
serait un acte de faiblesse et doit être écartée.
Tant pis pour ceux qui se sont rendus ou laissé prendre ; c'est
l'inévitable destinée des batailles de livrer au jeu
du hasard la vie des combattants. Si les brigands osent mettre
leur menace à exécution, leur cause est déshonorée
à jamais, et la République grandie encore par l'abaissement
de ses adversaires...
On voulut combattre ces arguments ; mais Haudaudine, à force
d'énergie, fit décider le refus de l'échange
proposé.
« Maintenant que j'ai réussi, dit-il, je n'ai plus qu'à
aller faire connaître votre décision aux chefs des insurgés.
»
En vain les prières de sa famille, les instances de ses amis
veulent ébranler son inflexible résolution ; en vain
les administrateurs du district prétendent le relever de son
serment et raillent une pareille loyauté avec les Brigands.
« La morale que vous me prêchez-là, dit-il, n'est
point celle que m'enseigne ma conscience. Quel que soit le sort qui
m'attende, je retournerai d'où je viens, et je n'autoriserai
pas par un manque de foi le massacre de mes compagnons d'armes. »
Et ce disant, il s'arrache à ses parents, à ses amis,
à la multitude entière... Comme Régulus, ce généreux
romain dont il renouvelle l'exemple, il gagne les portes de la ville,
les franchit et galope aussitôt sur la route de Vendée...
Il rentre à Montaigu où son héroïsme désarme
ses ennemis.
A la suite du refus stoïque des républicains nantais,
les Vendéens avaient gardé leurs prisonniers jusqu'au
moment du passage de la Loire. Le lendemain de la défaite de
Cholet, le général Cesbrons d'Argognes entre à
Saint-Florent, conduisant avec la garnison de cette ville les cinq
mille captifs républicains qu'Haudaudine a rejoints, et les
entasse dans l'église. A leur vue, un long cri de vengeance
: « Tuons les Bleus ! » s'échappe du milieu de
la multitude exaspérée. Déjà deux pièces
de canon sont braquées devant le portail et n'attendent que
le signal du massacre pour vomir la mort, que les captifs semblent
provoquer en entonnant le glorieux chant des Marseillais. Quelques-uns
même, dans la crainte de voir leurs cadavres confondus avec
ceux des royalistes, gravent dans leur chair avec un canif le mot
magique de liberté.
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GÉNÉROSITÉ DE
BONCHAMPS
DÉLIVRANCE DE CINQ MILLE PRISONNIERS
RÉPUBLICAINS
Mais il y a au camp des royalistes un homme qui va mourir, un héros,
lui aussi, Bonchamps, qui comprend tout ce qu'il y a de grandiose
dans le respect de Haudaudine pour la parole jurée, tout ce
qu'il y a de hideux dans cette immense tuerie qui s'apprête.
Il se relève sur le brancard où on le transporte évanoui,
et ranimant une dernière fois ses forces défaillantes
: « Mon ami, dit-il à d'Autichamps, qui tout en
pleurs se tient à ses côtés, les Vendéens
m'ont toujours obéi... Portez leur mon commandement suprême
: grâce aux prisonniers !... Que je ne meure pas sans être
assuré de leur vie ! ».
Bonchamps
D'Autichamps s'élance.... Un roulement de tambour annonce
une proclamation.... Au nom de Bonchamps, à ce nom si révéré,
le calme renaît ; le recueillement succède à la
fureur ; des larmes s'échappent de tous les yeux. Les canons
déjà braqués sur l'église sont détournés,
en même temps qu'un cri universel de : Grâce ! Grâce
! Sauvons les prisonniers ; Bonchamps le veut, Bonchamps l'ordonne
! retentit. par toute la ville.
Les prisonniers sont rendus à la liberté, et Bonchamps
expire bientôt sur l'autre rive du fleuve, dans une chaumière
de la Meilleraye, en prononçant ces dernières paroles
: « J'ai su pardonner ! » Mot bien digne du héros
chrétien, du guerrier philosophe, du premier général
de l'armée vendéenne, qui avait dit en commençant
cette lutte fatale : « La guerre civile ne donne point la
gloire, » et dont le dernier soupir devait être la
plus belle action de sa vie (1). Le général vendéen
fut enterré pendant la nuit, à la hâte, dans le
cimetière de Varades, au milieu des sanglots de ses amis, et
au bruit lugubre, immense et lamentable des 100.000 fugitifs qui traversaient
la Loire (18 octobre 1793).
Le passage de la Loire
Les descendants de Bonchamps dont la statue scupltée en 1822
par David d'Angers, se voit encore dans le chur de l'église
de Saint-Florent-le-Viel, se sont montrés dignes de leur glorieux
ancêtre. Le soir de la bataile de Patay (2 décembre 1870),
son petit fils le marquis de Bouillé, le fils, de ce dernier
Jacques, son gendre, Cazenoves de Pradines, nouvellement marié,
se conduisirent eux aussi en véritables héros. Le soir,
le père et le fils tombaient mortellement atteints sur, le
plateau de Villepion par des balles prussiennes : le gendre, mort
sénateur de la Loire-Inférieure, il y a peu de temps,
avait l'épaule droite fracassée d'un éclat d'obus.
Honneur aux braves !
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(1) Le 21 juillet 1817, Haudaudine, Pelloutier, Paimparay,
Maucomblé et Marion, notables hahitants de Nantes qui s'étaient
rencontrés au nombre des prisonniers de St-Florent, publièrent
un certificat attestant les circonstances de leur délivrance
et les motifs de leur éternelle gratitude (Pitre-Chevalier,
p. 452).
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