Histoire de Vendée

Histoire de la Vendée
du Bas Poitou en France

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CHAPITRE XXXV

L'ARMÉE D'OUTRE-LOIRE ET L'ARMÉE DE CHARETTE

Passage de la la Loire par les vendéens. - Henri de La Rochejaquelein nommé généralissime

Noirmoutier occupé par Charette (11-12 Octobre 1793). - Mort admirable du jeune Richier. - Le département Le Vengé. - Horribles massacres. - Le puits de Clisson

L'armée s'empare d'Ingrandes, Candé, Segré, Château-Gontier et Laval (23 Octobre)

Combat de la Croix de bataille (25 Octobre 1793)

Bataille de Château-Gontier (27 Octobre 1793)

La guerre de Géants

Occupation de Mayenne et de Fougères (2 et 3 Novembre). - Mort de lescure (4 Novembre 1793)

Arrivée des Vendéens à Dol (9 Novembre)

Siège de Granville (14 Novembre 1793)

Victoire de Pontorson (18 Octobre 1793)

Victoire de Dol (20 Novembre 1793)

Nouveaux succès à Antrain. - Beaux traits des Vendéens et des Républicains.

Les Vendéens regagnent Angers (3 Décembre 1793)

Générosité de Marigny (Républicain)

Retour des Vendéens. - Mort de Barra (20 Novembre 1793)

Beau trait de Marceau

Les Vendéens entrent à Baugé. - La Flèche et La Mans

Bataille du Mans (13 Décembre 1793)

Massacre du Mans. - Noble attitude de Kléber, de Marceau et de quelques compagnies

Marche douloureuse vers la Loire. - Bataille et défaite de Savenay (23 Décembre 1793)

 

PASSAGE DE LA LOIRE PAR LES VENDÉENS.

HENRI DE LA ROCHEJAQUELEIN NOMMÉ GÉNÉRALISSIME

 

Le désastre des royalistes à Cholet s'achevait par la perte du seul chef qui fut capable d'y remédier. La mort de Bonchamps complétait la victoire des républicains. Ils ne s'y trompèrent point : aussi le représentant du peuple à l'armée de l'Ouest put-il écrire à la Convention. « La mort de Bonchamps vaut une victoire pour nous ». Néanmoins grâce à des prodiges de courage et d'abnégation, plus de cent mille fugitifs dont la moitié à peine en état de porter les armes, se disputant quelques misérables barques (1), avaient pu franchir la Loire où chose incroyable un seul homme trouva la mort.
Les trente deux canons dont disposait encore l'armée royale, les caissons, les bagages, tout le matériel enfin traversèrent le fleuve à Varades ou s'étaient portés de La Rochejaquelein, le prince de Talrnont, d'Autichamps et le chevalier de Turpin dont le dévouement fut admirable, et l'armée put se reposer deux jours avant de s'acheminer vers la Bretagne. - On conçoit la rage de Westermann et de Merlin lorsqu'en arrivant le 19 à Saint-Florent, ils aperçurent les Vendéens sur la rive droite et pas un bateau pour aller écraser cette proie qui leur échappait.

 

Colonne commémorative élevée à l'endroit ou l'armée vendéenne franchit la Loire près Saint-F'lorent-le-Viel.

 

Mais la Grande Armée n'avait plus de chefs. Bonchamps venait de mourir, Lescure atteint d'un coup de feu à la Trernblaye, était mourant, et d'Elbée, blessé grièvement à Cholet, avait été conduit à Noirmoutier, sous la protection de Charette. Réunis autour du lit de Lescure, les chefs de division choisirent tous pour généralissime un jeune homme de vingt et un ans, un héros, une de ces nobles et chevaleresques figures qui honorent un parti, Henri de La Rochejaquelein.

 

Henri de la Rochejaquelein


« Conduite par un tel chef, la Grande Armée ne pouvait qu'aller en avant. Les cinquante mille hommes qui la, composaient encore jetèrent un dernier regard sur la rive maternelle (dulcis moriens reminiscitur Argos) » et prirent avec résolution la route de Laval, contrairement à l'avis de Lescure, qui désirait qu'on marchat sur Nantes, dont la garnison était entrée dans la Vendée, et qui donnait un moyen facile de combiner les opérations avec le corps de Charette sur les derrières des républicains. Mais avant de les suivre dans cette voie, nous devons reporter les yeux en arrière.

 

 

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(1) Vingt mauvais bateaux, dit Chateaubriand, servirent à transporter sur l'autre rive de la Loire la fortune de la monarchie.

 

NOIRMOUTIER OCCUPÉ PAR CHARETTE (11-12 OCTOBRE 1793). - MORT ADMIRABLE DU JEUNE RICHER. - LE DÉPARTEMENT LE VENGÉ. - HORRIBLES MASSACRES.- LE PUITS-DE CLISSON

 

Des chefs qui n'étaient point, à la bataille de Cholet et qui se trouvaient isolés sur la rive gauche, les uns déposèrent les armes en attendant l'occasion de les reprendre ; les autres continuèrent la guerre de clocher contre les détachements républi

cains. Après être rentré dans Légé et avoir échoué devant Saint-Gilles qu'il abandonna le 10 octobre, Charette, obstiné dans ses écarts, occupa avec plus de gloire que de profit Noirrnoutier, cette petite Hollande Vendéenne. Il y entra à marée basse, dans la nuit du 11 au 12 octobre, par le passage si périlleux du Goa. Il combattit dans l'eau jusqu'aux genoux, et tua de sa main sur la pièce qu'il pointait le chef bleu Richer et son jeune fils. Il offrit inutilement la vie à ce dernier : « Tuez-moi, s'écria-t-il, je déteste les rois comme mon père ! Je veux mourir comme lui pour la République : voilà dix francs pour ceux qui seront chargés de mon exécution.- Je les prie de bien m'ajuster (1) ».


Malgré l'énergique défense du commandant républicain Wieland (2), la ville capitula. Huit cents prisonniers enfermés au château furent ensuite emmenés à Bouin, où Pajot, après leur avoir fait subir d'horribles traitements, en massacra un grand nombre. Charette installa une sorte de gouvernement à Noirmoutier, et envoya Pierre de la Robrie traiter avec l'Angleterre. Mais il apprit alors le désastre de Cholet dont il pouvait s'accuser à si juste titre. « J'ai peut-être eu tort ! » dit-il d'une voix sourde, et il quitta brusquement Noirmoutier, qu'il offrit pour asile à d'Elbée qu'il avait rencontré mourant à Touvois. Charette regagna son quartier général deLégé où il rallia les derniers champions du Bas-Poitou : Joly, Couétus, Savin, La Cathelinière, Pajot, Guérin, Prud'homme, Lecouvreur, Lucas-Championnière, etc., et il prouva à la Convention que la Vendée n'était rien moins que soumise.

Merlin (de Thionville) proposa alors de nommer cette terre le Département vengé, et de le partager à de pauvres sans-culottes à condition qu'ils en détruiraient, en six mois, tous les bois et toutes les clôtures (3).

Fayau fut plus expéditif et mieux écouté : « Je pense, écrivit-il, qu'il faut envoyer en Vendée une armée incendiaire pour que, pendant un an au moins, nul ne puisse trouver de subsistance sur ce sol ennemi. » Cela était trop radicalement monstrueux pour ne pas séduire La Convention. Elle approuva la chose et le Comité de Salut public se chargea de l'exécution. Nous verrons bientôt à l'œuvre ses colonnes infernales. Barrère n'avait-il pas dit à la tribune : « Il faut désoler jusqu'à la patience des Vendéens ! »

Nous ne dirons pas les horribles vengeances qu'exercèrent sur les pays de Tiffauges, de Vallet et de Clisson, les vaincus de Torfou, de Montaigu et de Saint-Fulgent, non plus que les actes de sauvagerie et d'infamie qui accompagnèrent l'ensevelissement de trois cents vendéens vivants dans le puits du château de Clisson.

Retournons maintenant sur la rive droite où la grande armée avait reçu deux coups au moment de se mettre en marche : 1° - un bref du pape qui démasquait l'évêque d'Agra, et laissait l'abbé Bernier maître, absolu dans le Conseil - bref apponté à Londres par le chevalier de Saint-Hilaire, continuateur de la mission de Tinténiac ; 2° la nouvelle de la mort de Marie-Antoinette décapitée le 20 octobre. A cette nouvelle tous les Vendéens agenouillés fondirent en larmes, et demandèrent grâce à Dieu pour la France, tandis que les Sans-Culottes dansaient de joie, comme des cannibales au milieu des villes illuminées ».

 

 

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(1) La ville de Paris a consacré la mémoire du jeune héros patriote, en donnant son nom à l'une de ses rues.

(2) Wieland, prisonnier sur parole, fut néanmoins fusillé par les Bleus, en meule temps que d'Elbée, le 9 janvier 179l, lors de la reprise de l'île.

(3) La proposition fut faite dans la séance du 7 novembre 1793, et le 15 du même mois, la commune de Fontenay-le-Comte prenait le nom de Fontenay-le-Peuple.

 

L'ARMÉE S'EMPARE D'INGRANDES, CANDÉ, SEGRÉ,
CHATEAU-GONTIER ET LAVAL (23 Octobre)

 

L'armée se dirigea d'abord sur Ingrandes, dont elle s'empara sans trop de résistance, ainsi que de Candé, Segré et Château-Gontier.

« Le 23 octobre enfin, l'année parait devant Laval. On relève son courage et on la remet en ordre en lui lisant les proclamamations républicaines qui l'appelaient hordes de monstres, lui attribuaient les crimes de ses ennemis, et la vouaient au massacre et à la noyade. Elle s'élance sur les quinze mille soldais d'Esnue-Lavallée, les met en déroute et entre dans Laval. La Rochejaquelin fut encore sublime ce jour-là : un grenadier bleu venait de le manquer à bout portant. Il le saisit et le terrasse de la main gauche (depuis Martigné son bras était toujours en écharpe) quatre paysans accourant et vont égorger le grenadier. - « Arrêtez, leur crie le héros, et s'adressant au républicain : Va dite à tes camarades que tu t'es mesuré avec le général des Brigands qui n'a qu'un bras et pas d'armes, qu'il t'a jeté à terre et laissé la vie ! »

Malgré les espérances du prince de Talmont (1) qui avait à Laval d'immenses propriétés, on fit peu de recrues et les Vendéens, malgré le concours de quelques chouans du Maine amenés par Jean Cottereau, ne durent guère compter que sur eux-mêmes.

 

Le prince de Talmont


(1) Philippe de Talmont, second fils du duc de la Trémoille, avait mené jusqu'à vingt-sept ans la vie la plus follement libertine. Réveillé en sursaut par l'explosion révolutionnaire, il seconda La Rouerie, alla faire la première campagne de l'émigration, revint assister àl'exéculion de Louis XVI, espérant l'enlever à l'échafaud, se rejeta dans l'ouest, où il fut arrêté, et attendait la mort dans les prisons d'Angers, lorsque l'abbé de la Trémoille, son frère, le racheta au poids de l'or. Sommé de choisir entre l'Angleterre et la Vendée : « Je choisis la Vendée », s'écriat-il, et il joignit à Saumur l'armée royale, où il exerça les fonclions de général de cavalerie. Arrêté après l'affaire de Nort, chez l'un de ses maîtres de forge au moment où il essayait de rejoindre sa principauté de Laval, il fut assené au général Beaufort, qui ne put empêcher le prince d'être décapité à Laval, devant le château de ses pères.

 

 

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COMBAT DE LA CROIX DE BATAILLE (25 Octobre 1793)

 

Après deux jours de repos à Laval, la Grande Armée fut, le 25, attaquée par les Mayençais. Malgré l'avis de Beaupuy, qui faisait remarquer que les soldats étant harassés, il valait mieux attendre au lendemain, Westermann ne voulut rien entendre. Sans attendre les divisions de Kléber, de Canuel et de Chalbos qui devaient arriver le lendemain, venant de Nantes par la rive gauche de la Loire, il ordonne au capitaine Hauteville d'aller reconnaître l'ennemi. Cet officier charge les premiers postes et les oblige à se replier. Le tocsin sonne ; les Vendéens, revenus de leur première frayeur et favorisés par l'obscurité prennent en queue l'armée républicaine, qui se défend avec acharnement. Le désordre devient tel qu'à l'instar de ce qui s'était passé à Saint-Fulgent, on s'entre-massacre sans se voir en puisant aux mêmes caissons. Stofflet eut son cheval étouffé entre ses jambes. Un officier bleu voulait franchir un fossé, le royaliste Keller lui tend la main sans le reconnaître; puis apercevant son uniforme à la lueur d'une décharge, il lui fend la tête d'un coup de sabre... Westermann et Beaupuy laissèrent une foule de morts sur le terrain et se replièrent sur Château-Gontier où ils trouvèrent Léchelle et Kléber. Malgré l'avis de ce dernier, et en dépit du mauvais état des Bleus (ils étaient comme les Vendéens sans pain et sans souliers) une bataille générale fut résolue. Elle eut lieu le 27 octobre.

 

BATAILLE DE CHATEAU-GONTIER (27 Octobre 1793)

 

Averti dès le matin des intentions de l'ennemi, La Rochejaquelein dispose ses forces avec une prévoyance admirable « Mes amis, dit-il aux Vendéens, il s'agit de venger la défaite de Cholet et de sauver vos femmes et vos enfants ! » De son côté, Lescure soulagé par l'espérance, veut remonter à cheval on l'en empêche de vive force... Mais il s'arrache de son lit, se place à une fenêtre et encourage les Vendéens de sa voix mourante. Electrisés par ce spectacle, tous les chefs oublient leurs dissentiments pour triompher. Stofflet, Royrand, Sapinaud, Talmont, Forestier, Donissan, Piron, d'Autichamps (1), Fleuriot attendent les ordres de La Rochejaquelein...

Du côté des Bleus les bons généraux ne manquent pas, sans compter Kléber et Marceau ; mais c'est un imbécile qui les commande et qui va les perdre. Le premier ordre de Léchelle est un modèle de « crasse ignorance » (expression de Kléber ). On lui obéit pourtant, et le corps d'armée en subit la peine. Une batterie le protège heureusement à Entrammes ; mais Stofflet s'avance avec l'émigré Saint-Hilaire. - « Vous allez voir, lui dit-il, comment les Vendéens enlèvent les canons. » Et sur un signe de sa main, Martin de la Pommeraye et ses braves se ruent sur les pièces et les retournent contre les Bleus, après avoir tué les artilleurs. Henri, cependant, ranime tout de son courage et dirige tout par son sang-froid. Voyant tomber M. de Royrand et ses soldats le pleurer : « Nous le pleurerons demain, vengeons-le aujourd'hui ! Et ils écrasent en effet les Mayençais comme un seul homme. Ceux-ci voient alors Léchelle en fuite et abandonnent leur artillerie. Westerman, Kléber et Marceau sont entraînés par le torrent. La déroute des Républicains devient générale. Les Blancs allaient s'égailler pour les poursuivre ; Henri fait un tour de force : il les maintient en ligne. Pressés par cette masse compacte, les Mayençais se jettent dans la Mayenne. Un seul bataillon rend les armes... C'est celui qui a fait le plus de mal dans le Bocage. Sur l'ordre de Stofflet, il est cerné et fusillé en masse. Bloss et Beaupuy courent au-devant des balles vendéennes. Ce dernier, enlevé du champ de bataille, adresse à ses grenadiers sa chemise trouée et sanglante. Ils l'arborent comme une bannière et recommencent le combat. - « Eh bien ! s'écrie La Rochejaquelein, est-ce que les vainqueurs coucheront dehors et les vaincus dans la ville? » - Puis il enlève lui-même la position, chasse les derniers Mayençais de Château-Gontier et pénètre vainqueur dans cette ville, le drapeau blanc à la main, après douze ou treize heures de combat.

Le triomphe des Vendéens était complet. Il les fit passer de l'abattement du désespoir au délire de la joie. « Vive le Roi ! Vive M. Henri ! » criaient-ils en se partageant les dépouilles des Bleus.

Les ennemis mêmes de La Rochejaquelein ne purent lui refuser leur admiration : « Ce jeune homme, écrivit Kléber, a bravement gagné ses éperons de généralissime. Il a montré dans cette malheureuse bataille une science militaire et un aplomb dans les manœuvres que nous n'avions pas retrouvés chez les Brigands depuis Torfou. C'est à sa prévoyance et à son sangfroid que la République doit cette défaite qui a consterné nos troupes. » Et plusieurs années après, le général Jomini, l'expert stratégiste écrivait aussi : « Cette bataille place bien haut ce jeune homme dans l'estime des gens de guerre. »

Que devenait cependant Léchelle ? Il fuyait l'armée qu'il venait de perdre, et il osait dire aux derniers Mayençais

« Qu'ai-je donc fait pour commander à de tels lâches ? » - « Et nous ? répondaient ces braves expirants, qu'avons-nous fait pour obéir à un tel jean-f... ? » - « Quant à moi. s'écriait Westermann, je ne lui obéirai plus ! j'aimerais mieux servir sous les Brigands que sous un pareil homme ! »

Ainsi hué par ses soldats et destitué par ses officiers, Léchelle se réfugia à Nantes, où il mourut de honte entre les bras de Carrier. On prétend qu'il s'empoisonna lui-même : il ne pouvait périr dignement que de sa propre main.

Jamais la chance n'avait tourné si brusquement ni si complètement. L'armée républicaine ne méritait plus ce nom.

« Figurez-vous, dit Kléber lui-même, un tas de malheureux mouillés jusqu'aux os, sans tentes, sans paille, sans souliers, sans culottes, quelques-uns sans habits, grelottant de froid et n'ayant pas un seul ustensile pour faire leur soupe... Figurezvous des drapeaux entourés de vingt, trente ou cinquante hommes au plus, criant à l'envi : « Les lâches sont à l'abri et nous périssons ici dans la misère ! etc. » Tels étaient les débris qu'il fallut ramener péniblement à Angers (2). »

 

 

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(1) D'Autichamps, né à Angers le 8 août 1770 était en 1791, adjudant-major de la garde à cheval du roi. La garde constitutionnelle du roi ayant été licenciée le 5 juin 1792. Charles d'Autichamps continua son service aux Tuileries, jusqu'à la journée du 10 août. Il se rendit ensuite dans l'Anjou et prit part, dès le début, à l'insurrection. vendéenne, sous les ordres de d'Elbée et de Bonchamps. Breveté maréchal de camp en 1797, il continua à prendre une part importante aux derniers soulèvements ; fut un moment qualifié de général en chef des armées catholiques et royales : des derniers, il déposa les armes, lors de la pacification définitive, le 4 février 1800. La Restauration le fit Lieutenant-général et pair de France (1814). Il mourut en 1852.

(1) Pitre-Chevalier, 467, 470.


LA GUERRE DE GÉANTS

 

Eh bien ! c'est ici que la guerre de l'Ouest devient des deux parts une guerre de géants ! A Cholet la Vendée entière était, anéantie ; et dix jours plus tard elle ressuscitait victorieuse. A Laval la République n'avait plus de soldats, et douze jours après elle retrouvait une armée !... Mais par quels moyens, juste ciel ! Voici le sublime de la Terreur !

Hommes et femmes, vieillards et enfants, sont mis en réquisition permanente... « Les jeunes gens, dit l'arrêté révolutionnaire, iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances, les femmes feront des tentes, des habits et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront le vieux linge en charpie, les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l'unité de la République. ». On a besoin de poudre ! Tous les bâtiments en démolition sont livrés à la Commission des Salpêtres... On aggrave la loi des suspects et on appelle aux armes tous les hommes valides.

Ainsi la République improvisa une nouvelle armée. Entre la guillotine et le champ de bataille, tout le monde, préféra le champ de bataille. On mit les recrues dans les villes et les garnisons en campagne. Poussés par les conventionnels, elles arrivèrent comme un torrent sur tous les points menacés (1).

Cependant les chefs vendéens, tranquilles à Laval, délibéraient sans pouvoir s'accorder sur la marche qu'ils avaient à suivre. Ce n'était plus le moment d'essayer de repasser la Loire et de rentrer dans leurs foyers : ils n'avaient qu'à choisir entre la pointe de la Bretagne et celle de la Normandie. L'extrême Bretagne où dominaient les prêtres et les nobles était prête à se soulever; le pays, coupé de montagnes et de forêts, leur aurait fourni des moyens faciles de résistance, et sur les bords de la mer une communication avec les Anglais. L'extrême Normandie, plus éloignée, mais plus facile à garder, leur offrait la place de Cherbourg, très accessible du côté de la terre, pleine d'approvisionnements de toute espèce, et située de manière à les mettre en rapport avec la croisière anglaise. Ennuyé d'attendre la décisionn du Conseil, Stofflet donna de sa propre autorité le signal du départ.

 

 

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(1) Pitre-Chevalier, Darmaing et Bonnemaire, l'abbé Prunier Crétineau-Joly, Mme de La Rochejaquelein, etc.

 

OCCUPATION DE MAYENNE ET DE FOUGÈRES (2 et 3 Novembre)

MORT DE LESCURE (4 Novembre 1793)

 

Le jour de la Toussaint, l'armée abandonna Laval et occupa successivement Mayenne, évacuée par les 17.000 hommes du général Lenoir, fuyant sur le simple avis que les Brigands étaient à quatre lieues (2 et 3 novembre). Le 4, elle entra dans Fougères, après en avoir chassé l'ennemi. Ce fut près de cette dernière ville, au village de la Pèlerine, qu'après vingt jours d'agonie, mourut le Saint du Poitou, Lescure, en adressant à sa femme ces belles paroles :

J'ai toujours servi Dieu avec piété, j'ai combattu et je meurs pour lui ; j'espère en sa miséricorde.

J'ai souvent vu la mort et je ne la crains pas ; je vais au ciel avec confiance. Je ne regrette que toi : j'espérais faire ton bonheur. Si jamais je t'ai donné quelque sujet de plainte, pardonne-moi. » C'était le 4 novembre Lescure n'avait que 27 ans.

A Fougères, où l'on resta quatre jours, les officiers royalistes s'assemblèrent pour déterminer la marche à suivre. L'armée était décimée par les maladies ; l'hiver approchait, que faire ? Tout à coup un transfuge se présente : c'est d'Oppenheim, officier du génie. Il persuade aux chefs vendéens d'assiéger Granville, avec l'appui d'une flotte anglaise qui ne vint pas.... Et les Vendéens, malgré l'avis de Marsange et de la Rochejaquelein, allèrent se faire broyer à Granville.

 

ARRIVÉE DES VENDÉENS A DOL (9 Novembre)

 

Le 9, l'armée royale arriva à Dol qui fut occupé sans combat. Elle mit à contribution les principales notabilités de la ville, pilla diverses maisons et s'empara de linge, vivres, blé, etc. Épuisée par de longues marches dont elle n'avait pas l'habitude, atteinte de ce mal du pays qui consume le Breton et le Vendéen loin de leurs chaumières, elle éclate en murmures, n'écoute plus la voix de ses chefs ni des abbés Bernier et Jagault ; elle veut, malgré La Rochejaquelein, reprendre le chemin du Bocage.

 

 

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SIÈGE DE GRANVILLE (14 Novembre 1793)

 

Après avoir occupé Avranches et Pontorson (10 novembre), La Rochejaquelein assiège en vain Granville avec trente mille hommes découragés. Il somme la place de se rendre « au nom de l'humanité et de la religion ». Le conventionnel Le Carpentier et les généraux Peyre et Vachot, entourés de toutes les forces du pays leur répondent à coups de canons. Ils savent que les Vendéens, toujours malheureux dans les sièges, n'ont pas même d'échelle pour monter à l'assaut, et que l'Angleterre n'enverra ni flotte ni artillerie.

Cependant Talmont, La Rochejaquelein, Donissan, Forestier, Scépeaux (1), etc., pénètrèrent hardiment dans les faubourgs... M. le Grand de la Liraye, toujours au premier rang, dispose les pièces d'attaques avec une telle adresse qu'il balaye les républicains. Mais en quittant les faubourgs ils y mettent le feu et ce nouvel ennemi arrête les Vendéens. Bientôt les flammes se retorunent contre ceux qui les ont allumés. Marigny les avive encore en tirant à boulets rouges sur la ville. Les assiégés veulent aller éteindre le feu qui consumme leurs maisons. Le Carpentier les arrête, le fusil sur la gorge. Le municipal Desmaisons meurt sur la brèche, en y traînant des femmes et des enfants chargés de munitions.

Les Vendéens reviennent à la charge par la grève ; ils escaladent le roc en y enfonçant leurs baïonnettes : ils vont entrer cette fois dans la ville et s'en emparer à l'arme blanche, lorsqu'un déserteur, un traître, leur crie : « Fuyez ! Nous sommes vendus !... » Allard brûle la cervelle au misérable, mais le coup fatal est porté... Le cri de trahison parcourt les rangs... Les plus braves s'arrêtent... Les autres les entraînent. La nuit, toujours funeste aux paysans, met le comble à leur épuvante. Aux lueurs de l'incendie qui enveloppe Granville, ils aperçoivent les trois étages de forts et de canons qui les foudroient. En vain La Rochejaquelein les ramène à l'assaut ; en vain les prêtres les y repoussent, la croix à la main ; en vain les femmes et les enfants leur crient : « Nous sommes perdus si vous n'êtes vainqueurs ! »... Rien ne peut arrêter la déroute qui renverse les chefs et leur passe sur le corps (2). - Les défenseurs de Granville redeviennent alors citoyens et repoussent le feu avec le même courage que l'assaut (3).

 

(1) De Scépeaux, né à Angers le 19 septembre 1768, avait servi dans la cavalerie jusqu'au 10 août 1792. Retiré dans sa terre d'Anjou, il se joignit à son beau-frère Bonchamps, et suivit l'armée vendéenne sous Granville. Après la défaite du Mans, il resta sur la rive droite de la Loire, accepta la pacification de Charette, mais bientôt reprit les armes pour soutenir Stofflet. Il joua un rôle diplomatique assez important avec de Béjarry. Emprisonné plus tard à Angers, il parvient à se faire remettre en liberté, pour reprendre les armes. Il fit sa soumission le 22 avril 1796. En 1809, il prit du service dans l'armée impériale et passa en Espagne. En 1814, il participa à la défense de Lyon contre les alliés. Il mourut général de brigade à Angers, le 28 octobre 1821, âgé de 53 ans.

(2) Après le dernier combat, on trouva sur le bord de la mer plus de 1.200 cadavres étendus la face contre terre, et dépouillés de leurs armes et de leurs vêtements. - Les Vendéens perdirent environ 2.000 hommes. (Launay, d'après un témoin oculaire).

(2) Pitre-Chevalier et Darmaing, p. 253.

 

VICTOIRE DE PONTORSON (18 Octobre 4793)

 

Les Vendéens, après avoir mis à sac Villedieu, retrouvèrent un courage désespéré pour reprendre le chemin de leur pays... Cernés par tous les généraux et par tous les conventionnels qui semaient leur route de femmes et de malades égorgés, ils écrasent le 18 novembre, dans la grande rue de Pontorson, tout le corps d'armée de Triboust (1). Ce fut une boucherie sans quartier, durant près de cinq heures... M. Le Grand l'avait, en tirant sa montre, annoncée par cette héroïque plaisanterie. - « C'est à quatre heures, mes amis, que le bal commence !... » Il ne finit qu'à neuf heures et laissa Pontorson encombré de morts et de mourants. Le brave Forêt y resta percé de balles. Triboust avoua à la Convention que son armée, qui avait perdu quatorze pièces de canons et des caissons, avait été mise un peu en déroute. Pendant ce temps-là, sa femme, autorisée par lui, jouait la comédie sur les théâtres de Brest (2). La victoire de Pontorson ouvrait les portes de Dol aux Vendéens.

 

 

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(1) Triboust, ancien tambour-major, bon grenadier, ne sachant ni lire ni écrire, mais maniant parfaitement le sabre et la bouteille.

(2} Pitre-Chevalier et Darmaing, page 253.

 

VICTOIRE DE DOL (20 Novembre 1793)

 

Malgré cet échec, les généraux républicains, Marceau, Kléher, Savary et Rossignol, résolurent de cerner Dol, où, les royalistes étaient entrés le 19 novembre, et de détruire peu à peu les débris de la Vendée.

Westermann les sauva en se ruant sur eux le 20 novembre à minuit. Le Conseil de guerre tenait encore séance, lorsqu'arriva de lui une dépêche annonçant que, informé de la situation misérable des Vendéens, il allait cette nuit même du 20 au 21, se jeter sur eux, se déclarant sûr du succès ; si l'on faisait marcher une colonne par la route d'Antrain. Malgré les objections des généraux, Prieur et les autres représentants, enthousiasmés au cri de : « Mort aux brigands ! » font donner à Marceau l'ordre d'opérer le mouvement réclamé par Westermann.

Mais celui-ci n'a pas même attendu la répônse à sa dépêche. La cavalerie de Bouin de Marigny a couru jusqu'à l'entrée de Dol d'où elle a été repoussée, et cette bravade des hussards a donné l'alarme aux royalistes une heure et demie avant l'arrivée des républicains. « Pour la première fois, la Rochejaquelein était parvenu à établir des patrouilles et des sentinelles. Lamasse énorme et gémissante des femmes, des blessés et des invalides était rangée des deux côtés de la rue. Au milieu figuraient les chariots, les bagages et l'artillerie de rechange. Entre les canons et les femmes se tenait la cavalerie, bride et sabre en main, prête à s'élancer au combat.

Au premier cri de mort aux brigands ! poussés par les soldats de Westermann, les tambours annoncent dans tous les camps qu'il faut vaincre ou mourir.

Les deux partis se choquent dans L'ombre, et les Bleus reculent. En avant la cavalerie ! crie Forestier, et il enfonce les troupes de Westermann.

Marceau, parti d'Antrain vers deux heures du matin, a conduit sa colonne jusqu'à une lieue de Dol, mais Stofflet lui barre la route et résiste trois heures. Muller arrive à son tour, mais ses soldats ivres ainsi que lui, n'apportent que le désordre. Marceau rétrograde vers Kléber, et tous deux joignent leurs divisions. Westerman et Marigny, digne homonyme du Marigny vendéen, sont repoussés une seconde fois. Ce dernier, démonté et désarmé, protège la retraite avec un admirable courage. La Rochejaquelein s'élance enfin au secours de Stofflet contre Kléber et Marceau. Et ce mouvement qui devait compléter sa victoire, la compromet par la plus fatale méprise. Voyant leur général s'échapper au galop, les Vendéens le croient en déroute et rentrent à Dol en criant : « Tout est perdu ! » Un épais brouillard ajoute encore à l'horreur de la nuit. Rien ne saurait peindre le désordre et le désespoir de cette armée de femmes, de malades et de soldats confondus. - « Défendez-nous ! criaient les malades... » Mourons avec nos chefs, répondaient quelques braves. Mais la majorité perdant la tête et croyant voir les Bleus, se dispersait dans toutes les directions. Marigny sabre en vain les fuyards pour les ramener dans les rangs.

Les femmes du Poitou relèvent les armes qui jonchent la terre et forment un bataillon autour de lui.

La veuve de Bonchamps supplie ses anciens soldats de ne pas se déshonorer. Mesdames de Lescure et de Donissan rappellent au combat Stofflet entrainé sous leurs yeux. Les épouses, armées de leurs enfants, arrêtent la fuite de leurs maris comme jadis les femmes Cimbres à Verceil. Elles prennent aux morts leurs fusils et crient avec délire « Au feu, les Vendéennes ! » Les piètres, la croix à la main, ouvrent le ciel aux braves et vouent les làches à l'enfer. L'abbé Doucin, de l'île de Ré, crie à deux mille hommes : « Livrez-vous vos familles aux Bleus ! non, c'est impossible ! A genoux, mes enfants, recevez l'absolution et allez mourir ! » Et les deux -mille hommes s'élancent au cri de « Vive le Roi : nous allons au Paradis ! »

Cependant La Rochejaquelein apprend cette erreur et ce désordre. Il revient ventre à terre. Il se montre à tous. Il menace, il supplie, il se désespère : « Mourons donc ! » s'écrie-t-il, et les bras croisés, il affronte une batterie républicaine. La mitraille vole autour de lui sans le toucher. - « Allons, dit-il, la mort ne veut pas de moi ! » Et il court à l'aile droite où l'appelle un feu roulant. C'est Talmont qui, avec huit cents gars, arrête toute l'armée bleue et lui cache la déroute des Vendéens ! Tant d'héroïsme rallie les fuyards les plus égarés. L'abbé Doucin arrive avec ses deux mille hommes. Stofflet, Marigny et La Rochejaquelein s'unissent: « Ménagez vos dernières cartouches, dit le général aux sauveurs de la Vendée, ne tirez qu'à bout portant ! » Et ces malheureux qui se croyaient vaincus, détrompés enfin, ressaisissent la victoire. Rossignol est enfoncé, Kléber lui-même recule. Les Mayençais font d'inutiles miracles de bravoure (1). Marceau seul protège la retraite jusqu'au bois de Trans.

La joie des Vendéens dépasse leur épouvante. Rentrés en triomphe à Dol, ils remplissent la vieille église en chantant le Vexilla Regis. Ils s'agenouillent devant l'abbé Doucin. Ils remercient leurs femmes d'avoir relevé leur courage. Ils s'embrassent comme des condamnés graciés au pied de l'échafaud (2).

 

 

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(1) La fureur des deux partis était telle que les combattants s'étaient saisis corps-à-corps et se déchiraient avec leurs mains.

(2) Extrait en grande partie de l'émouvant récit de cette bataille fait dans Bretagne et Vendée, par Pitre-Chevalier, pages 477-78. Voir aussi Darmaing.

 

NOUVEAUX SUCCÈS A ANTRAIN. - BEAUX TRAITS DES VENDÉENS ET DES RÉPUBLICAINS. - LA RECONNAISSANCE SAUVE L'ABBÉ DOUCIN

 

Le lendemain, les royalistes exténués de faim et de fatigue se mettent en marche pour retourner dans leur pays, par Antrain et Fougères. La Rochejaquelein prend la route de Pontorson, et Stofflet celle d'Antrain. Bientôt la Rochejaqnelein se trouve sur la droite des troupes républicaines, qu'il met en fuite. Stofflet qui s'en aperçoit arrive au secours du généralissime. On se bat de part et d'autre avec un égal acharnement. Après quinze heures de combat, les républicains battent en retraite sur Fougères et sur Rennes, pendant que les Vendéens remplissent les rues d'Antrain. Cent cinquante prisonniers et blessés restés au pouvoir des républicains venaient d'ètre égorgés à Fougères, pendant que les femmes malades subissaient le même sort après avoir été violées. On agite au Conseil la question de savoir si l'on n'usera pas de représailles, mais l'abbé Doucin et les généraux obtiennent la grâce des Bleus, qui sont renvoyés à Rennes avec des secours et ces mots de La Rochejaquelein : « C'est par des actes d'humanité que l'armée royale se venge des cruautés des ennemis ! »

Nous enregistrons ces faits avec d'autant plus de plaisir qu'ils vont malheureusement devenir rares. Les autorités de Rennes répondirent à cette générosité en faisant trancher la tête à M. de Hargnes, pris par les Bleus au. combat d'Antrain. D'un autre côté, la Commission militaire de Laval se vantait « d'égorger les fanatiques et les scélérats par douzaines, et d'arracher de leurs niches tous les saints et toutes les saintes du paradis ».

Honneur en revanche aux vrais et bons républicains qui répudiaient ces lâchetés ! L'abbé Doucin venait d'être arrêté et passait devant un Conseil de guerre. Un témoin à charge osa raconter comment le digne prêtre avait sauvé cent cinquante Bleus à Antrain. Les juges s'émeuvent, et au risque de leurs jours, absolvent l'accusé (1).

Les Vendéens pouvaient aisément, après leur double triomphe gagner les ponts de Cé ou clé Saumur, descendre même sur Rennes et rejoindre les Chouans morbihannais ; c'était l'opinion du curé de Saint-Laud et du généralissime, tandis que le prince de Talmont proposait de retourner sur Granville, qui n'avait plus de garnison ; la plupart des chefs adoptèrent cet avis, mais une dyssenterie cruelle décimait les insurgés, qui songeaient moins à vaincre qu'à retourner dans la Vendée. Bref, rien. ne put arrêter la marche rétrograde et fatale.

Les Bleus n'étaient pas moins désorganisés. Kléber força l'incapable Rossignol de céder provisoirement le commandement à Marceau. Thomas Séverin Marceau n'avait alors que vingt-quatre ans. Né à Chartres en 1769, d'un procureur de cette ville, il avait salué la Révolution qui lui promettait la gloire, et, est parti enfant et soldat du toit paternel, il s'était élevé d'exploit en exploit au grade de général. L'historien royaliste Crétineau, qui ne peut être suspect, en fait un éloge superbe et mérité que nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici.

 

 

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(1) Darmaing et Pitre-Chevalier.

 

LES VENDÉENS REGAGNENT ANGERS (3 Décembre 1793)

 

Marceau accepta le commandement, et en attendant le retour de Turreau, rappelé des Pyrénées Orientales, réorganisa l'armée avec Kléher, qui consentit à diriger le plan et les opérations de la campagne. Mais malgré son activité, il ne put empêcher les Vendéens repassant par Laval, de gagner avant lui Angers, occupé depuis deux jours par les généraux Danican et Boucret, avec leurs divisions. C'était le 3 décembre. La Rochejaquelein et son conseil ordonnent un assaut général : Stofflet promet le pillage. Les paysans exténués refusent l'un et l'autre. Leurs chefs les entraînent enfin au combat. Il s'agissait de rouvrir la porte de la Vendée ! Mais Angers, bien défendu par les conventionnels Levasseur, Francastel, Esnue-Lavallée et le général Beaupuy qui entraînèrent les habitants aux armes, fut sauvé.

Les Vendéens cependant assaillirent la porte Cupif. Plusieurs chefs s'y firent tuer. Et La Rochejaquelein allait forcer la position, quand le républicain Marigny le surprit par derrière. Les paysans se crurent attaqués par l'avant-garde de Marceau, et prirent en désordre la route de Baugé par Pellouailles et Suette. Le siège n'avait duré que deux jours.

 

GÉNÉROSITÉ DE MARIGNY (RÉPUBLICAIN)

 

Marigny surpassa en cette occasion son homonyme vendéen (1). Au moment ou les Vendéens battaient en retraite, l'intrépide Richard Duplessis, qui avait eu un œil crevé à Châtillon, se lance au galop à travers les escadrons républicains, reçoit une affreuse blessure qui ne fait qu'exalter sa fougue, tue le premier hussard qu'il rencontre et pique droit au général Marigny. « Je viens de verser le sang de vos soldats : versez le reste du mien ! » Marigny lui jeta un mouchoir pour bander ses plaies et le renvoya sain et sauf. Il lui demanda seulement pourquoi les Vendéens s'obstinaient à se battre. Pour se défendre contre la République, répondit Richard, résumant ainsi d'un mot la guerre.

Voyant ce brave revenir au camp, La Rochejaquelein adressa à Marigny les deux seuls prisonniers faits par ses soldats, offrant d'en échanger toujours dix contre un. Un instant après, Marigny était coupé en deux par un boulet de canon (2). La Convention, qui l'eut destitué vivant, crut devoir honorer sa mémoire : Elle offrit son cheval de bataille à son père, au nom de la République.

Levasseur avait si bien exalté les Angevins, qu'après le départ des Brigands « ils firent une procession lustrale, et brûlèrent l'encens de la patrie pour purifier leurs murs du contact royaliste (3).

 

 

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(1) Il s'appelait Bouin de Marigny, et était d'une noble famille du Poitou. - Parent du général vendéen du même nom. - « Chasseurs, achevez moi », telles furent les dernières paroles du héros républicain.

(2) Pitre-Chevalier, 401.

(3) Pitre-Chevalier, 401.

 

RETOUR DES VENDÉENS. - MORT DE BARRA
(20 Novembre 1793)

 

Cependant la Vendée s'était émue au retour de ses enfants. La Bouère et Pierre Cathelineau entreprirent de leur ouvrir les Ponts de Cé. Ils battirent à Bressuire le général Desmares, qui se vanta en fuyant de les avoir mis en déroute.

« C'est alors que mourut le jeune héros Joseph Barra, dont le nom est devenu si populaire. Depuis une année ce républicain de douze ans, ordonnance du général Desmares, se battait à la tête d'un régiment de hussards. Après avoir chargé avec fureur et terrassé deux Vendéens, il se fit tuer le 20 novembre (1) plutôt que de se rendre avec les deux chevaux conquis par sa bravoure. Le noble enfant envoyait à sa pauvre famille, à Palaiseau, tout ce qu'il gagnait à la guerre. La Convention lui ouvrit le Panthéon, fit à sa mère une pension de mille livres, et immortalisa son nom en celui de Barra.

On sait que M. J. Chenier le place dans le Chant du départ.

Tel était le système de la république : « d'une main elle jetait la terreur à ses ennemis, et de l'autre la gloire à ses amis, enfantant ainsi d'un côté tous les crimes et de l'autre toutes les vertus ».

 

 

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(3) Chassin dit qu'il fut tué le 7 décembre 1793, près de Jallais.

 

BEAU TRAIT DE MARCEAU

 

La Bouère et Cathelineau arrivèrent trop tard devant Angers et renvoyèrent leurs gars à la charrue. Marceau et Kléber venaient d'entrer dans la ville, où le premier trouva l'ordre de suspendre le second. Il cache cet ordre jusqu'au lendemain et reçoit alors contre-ordre. Il montre l'un et l'autre à Kléber en lui tendant la main ; - « C'est toi qui es mon général, lui dit-il : je ne demande que l'avant-garde au combat. » - « Sois tranquille, répond Kléber, nous nous battrons et nous nous ferons guillotiner ensemble ».

Ce trait de chevalerie repose l'âme au milieu d'une telle époque.

 

LES VENDÉENS ENTRENT A BAUGÉ. - LA FLÈCHE ET LE MANS

 

Après être entrés à Baugé sans coup férir, les Vendéens s'attendaient à marcher sur Saumur et Tours, mais comme pour suivre cette direction il aurait fallu prendre la levée de la Loire qui était occupée par la division de Kléber, le conseil décida qu'on marcherait sur le Mans, par la Flèche. Les paysans du Maine passaient pour être royalistes : d'ailleurs c'était se rapprocher de la Bretagne, où l'on pouvait trouver aide et appui.

Le 8 décembre, à l'approche de la Flèche, la tête de l'armée aperçoit le pont coupé, et quatre ou cinq mille hommes retranchés fortement sur la rive droite du Loir. L'arrière-garde est mise en déroute par Westermann, et la situation des Vendéens devenait critique. De la Rochejaquelein la sauve par un coup de vigueur et d'audace. Il s'empare du faubourg Ste-Colombe, d'où son artillerie balaie les troupes ennemies, couvre la ville de projectiles et renverse la flèche de l'église sur les assiégés. Il prend ensuite trois ou quatre cents cavaliers qui mettent en croupe autant de fantassins, remonte la rivière à trois quarts de lieue, la passe au gué du moulin de la Bruyère, arrive le soir aux portes de la ville dans laquelle il entre au cri prolongé de « Vive le Roi ! » Les républicains épouvantés fuient, mais l'arrière-garde, commandée par Talmont et Piron, allait succomber dans la lande des Clefs quand le jeune vainqueur arrive. Il fait un grand signe de croix, et s'élance au galop de son cheval à travers les épais bataillons des ennemis qu'il met en pleine déroute. La victoire était complète, mais au prix de combien de sacrifices

L'église de la Flèche était pleine de malades et de blessés : le sang inondait les parvis du temple et les prêtres qui accompagnaient l'armée ne quittaient l'autel que pour absoudre les mourants.

La plupart des officiers étaient restés à la Flèche, où la troupe prit un jour derepos. De la Rochejaquelein leur reprocha de l'avoir laissé combattre presque seul : « Messieurs, leur dit-il, ce n'est pas assez de me contredire au conseil, vous m'abandonnez au feu ». Et oui, quelques chefs commençaient à abandonner leurs soldats avec désespoir, et Beauvolliers avait déjà donné ce fatal exemple.

Mais Westermann va revenir en force. Où aller ? Les paysans qui désertent rencontrent le sabre des Bleus ; les autres s'élancent avec de la Rochejaquelein sur la route du Mans. Westermann passe la Loire à la nage pour les exterminer, suit leur trace semée de cadavres, mais ne peut les empêcher d'entrer au Mans, à la suite de Stofflet, Forestier et Amédée de Béjarry. Ils.y traînaient trois ou quatre cents prisonniers qu'ils épargnèrent comme à Laval, à la prière de quelques nobles femmes.

Les Vendéens étaient encore vingt-cinq mille environ, mais tous plus ou moins épuisés, tous chargés de femmes, d'enfants, de vieillards et de malades au nombre de près de quarante mille, lorsque le 10 décembre, ils arrivèrent au Mans. Ils avaient avec eux, dit un historien « 30 pièces de bons canons de bronze, des charettes chargées de blé, une cinquantaine de carrosses remplis de femmes, plus de cinquante épouses d'officier étaient à cheval. » Le défilé des Vendéens dura plus de quatre heures ; de la tête à la queue, il y avait plus de trois lieues de distance.

A mesure qu'ils arrivaient, ils se logeaient dans les maisons particulières par 60, 80, 100, réclamant « des vivres, des chemises, des bas, sabots et vêlements que chacun ne pouvait leur refuser. »

C'est dans cette situation misérable que Marceau et Kléber rejoignent, pour les achever, Chabot et Westermann.

Les horribles journées du 12 et 13 décembre se lèvent alors sur les deux camps.

La Rochejaquelein s'élance d'abord au-devant de l'ennemi, traverse l'Huisme sur les bords duquel campaient les chasseurs républicains, et remporte un léger avantage. Mais en rentrant dans la ville pour y réunir son armée, quel spectacle désolant frappe ses regards ! Les Vendéens, après un mois de quasi. inanition, se sont gorgés de viandes, de vins et dorment ivres morts dans les rues et sur la place publique des halles. Le général les appelle, les secoue, les harcèle en vain ; il ne peut mettre sur pied que dix ou douze mille combattants. Et Westermann, le Boucher des Vendéens, est aux portes de la ville ! Il repousse les paysans vaincus d'avance, les taille en pièces, enlève leurs barricades, est rejoint par Marceau et se rend maître des rues.

 

 

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BATAILLE DU MANS (13 Décembre 1793)

 

Mais les Vendéens, enfin réveillés, s'égaillent entre la route de Tours et de Chateaudun, repoussent la division Mûller et les chasseurs de Westermann qui s'approchaient du Mans par le chemin de la Flèche. En même temps, d'autres Vendéens, retranchés dans les maisons, font pleuvoir une grêle de balles ; et, maîtres encore de la moitié de la ville, tiennent les deux généraux en échec jusqu'au milieu de la nuit. Alors paraît Kléber, le mercredi 13, à trois heures du matin, et tout le Mans redevient un champ de bataille.

« Jamais, écrivait un auteur de ce drame, jamais vous n'en exprimerez la sanglante horreur ! Figurez-vous les convulsions de l'agonie aux prises avec les convulsions de la rage ; une armée de bouchers et de taureaux s'entregorgeant dans un abattoir, ou plutôt des bandes de démons s'exterminant dans un feu de poudre et de fumée. La fièvre du sang fut longtemps égale de part et d'autre, tant le désespoir avait ranimé les Vendéens. A chaque décharge des Bleus, c'étaient des cris de : « Vive la République ! » et puis à chaque riposte des Blancs des cris de « Vive le Roi ! » si vigoureux, si furieux, si épouvantables que toutes les murailles de la ville en tremblaient sur leurs bases ! Ensuite il y eut un épuisement général ; les Républicains tombaient sans haleine à côté des Royalistes. Westermann lui-même, l'indomptable boucher, s'endormit dans une maison, d'où les Vendéens fusillaient ses soldats ! »

 

MASSACRE DU MANS. - NOBLE ATTITUDE DE KLÉBER, DE MARCEAU ET DE QUELQUES COMPAGNIES

 

Bientôt les grenadiers de Kléber reprennent le combat : ils chargent à la baïonnette, enjambent des monceaux de cadavres, et après une lutte suprême, la plus horrible de toutes, ils enlèvent l'artillerie vendéenne. Aussitôt Bourbotte et Prieur font massacrer les derniers tirailleurs dans les maisons. Tous s'enfuient alors comme un torrent par la rue Dorée. La Rochejaquelein seul parvient à régler la retraite de quelques braves.

Maître de la ville encombrée de morts et de blessés, de chariots et de canons, Marceau veut y arrêter l'effusion du sang. Il éloigne donc Westermann qu'il lance à la poursuite des fuyards. Mais il ne peut d'abord contenir ses propres soldats ni les sans-culottes, entraînés au carnage par le maire. Les enfants, les vieillards et les femmes des brigands sont traqués de maison en maison, rassemblés à coups de sabre, puis hachés, violés, fusillés. Les tricoteuses du Mans égorgent avec leurs enfants vingt-sept mères respectées par un peloton de hussards. A la fin, l'indignation de Kléber et de Marceau l'emporte : ils arrêtent de leurs mains les cannibales au milieu de cette orgie sanglante et les ramènent frémissants au drapeau, en faisant battre la générale (1).

A côté de ces généreux vainqueurs, nommons ceux qui se montrèrent dignes de leur obéir. Les grenadiers d'Armagnac et d'Aunis protégèrent après le combat, et sauvèrent les malheureux qu'ils venaient de battre. Vidal, lieutenant,-colonel de hussards, donna son équipement et la vie à M. d'Autichamps. Une multitude d'offîciers et d'habitants se dévouèrent ainsi au salut des fugitifs et des prisonniers.

Aussi quel cœur n'aurait saigné à la vue d'un semblable désastre ! Depuis le Mans jusqu'à Laval, où s'était enfuie l'armée, quinze mille personnes de tout âge, de tout sexe avaient succombé dans le combat ou dans la retraite. Sur cette route de quatorze lieues, on ne pouvait faire un pas sans se heurter à un mort ou à un blessé. Pas une famille qui n'eût à pleurer une partie ou la totalité de ses membres. Des communes avaient vu périr jusqu'à leur dernier représentant (1 - 2).

 

 

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(1) Le roman a popularisé la charmante histoire de Mlle des Mesliers, munie d'un sauf-conduit de Marceau qui ne la sauva pas à Laval (22 janvier 1794). Ce furent encore le jeune général en chef, et Kléber, et leur adjudant-général Savary qui tirèrent non seulement Mme de Boguais et ses trois filles du milieu de la déroute, mais en même temps réussirent à apitoyer sur le sort de toutes les Vendéennes celui-là même des commissaires de la Convention que sa qualité de membre du Comité du salut public rendait logiquement le plus implacable exécuteur des ordres de destruction des brigands. - « Ton intention n'est sans doute pas, dit Savary à Prieur (de la Marne) que ces femmes restent exposées aux outrages de la troupe qui nous suit , je vais pourvoir à leur sûreté. » « Oui, tu feras bien, répondit Prieur ! »

(2) Pitre-Chevalier et Chassin. - La Vendée patriote, T. III, page 419.

(3) La lettre écrite le jour même à la Convention par Bourbotte Prieur (de la Marne) et Turreau, donne des détails épouvantables sur la défaite et le massacre, qui durait depuis quinze heures au moment de l'envoi de la dépêche. (Chassin. - La Vendée patriote, T, III, page 416). - Consulter aussi Le Mémoire de Mme de la Rochejaquelein sur le même sujet, et l'ouvrage fort intéressant de l'abbé Prunier, intitulé La Vendée militaire.

 

 

 

MARCHE DOULOUREUSE VERS LA LOIRE. - BATAILLE ET DÉFAITE DE SAVENAY (23 Décembre 1793)

 

Après avoir perdu dix mille combattants, presque autant de femmes, d'enfants et de vieillards, la plus grande partie de leurs bagages et de leur artillerie, ils arrivent pendant la nuit avec un reste d'armée qui semble un convoi funèbre. La Rochejaquelein ne songe plus qu'à reconduire ces infortunés dans leurs chaumières... si leurs chaumières existent encore !... Il place les femmes et les blessés au centre : ceux qui ne peuvent marcher sont portés par les autres... Et cette hécatombe humaine avance jour et nuit sous la pluie glacée de l'hiver, et sous l'épée insatiable de Westermann.

Le 14 décembre les Vendéens quittent Laval pour se diriger sur Ancenis en passant par Cossé, Craon, Pouancé et Saint-Mars-la-Jaille.- A Craon, l'hôpital, l'église et les maisons particulières sont encombrés de blessés et de malades qu'il faut abandonner à la fureur de l'ennemi.

Le 16, sur les dix heures du matin, l'avant-garde arrivait à Ancenis, conduisant avec elle sur un chariot, une barque prise dans l'étang du château de Saint-Mars-la-Jaille. La Loire coulait à pleins bords, et sur la rive droite il n'y avait qu'un seul bateau. Sur l'autre rive étaient amarrées quatre grandes barques et toutes chargées de foin. Voyant que personne n'osait tenter le passage, La Rochejaquelein prit le parti de passer le premier; il comptait s'emparer de ces bateaux de vive force, protéger le débarquement, et surtout empêcher les Vendéens de quitter leurs drapeaux à mesure qu'ils mettraient le pied sur cette rive gauche, après laquelle ils soupiraient depuis si longtemps. La Rochejaquelein et Stofflet entrèrent dans le batelet qu'on avait apporté sur une charrette ; de Laugerie entra dans l'autre avec dix-huit soldats ; l'avant-garde tenait les yeux fixés sur ces deux bateaux qui portaient la fortune de l'armée. En même temps on rassemblait des planches, des tonneaux, des bois de toute espèce pour construire des radeaux, pendant que l'abbé Bernier prêchait les paysans pour éviter tout désordre.- Mais une chaloupe canonnière venue de Nantes s'embossait vis-à-vis d'Ancenis et coulait bas les radeaux et les frêles embarcations qu'on avait improvisées. Trois ou quatre cents Vendéens à peine atteignirent l'autre bord. La Rochejaquelein, occupé à faire débarrasser les bateaux de foin, fut avec ses deux compagnons attaqué et poursuivi par une patrouille ennemie. Forcé de se retirer au fond d'un bois, dit de Chateaubriant, « il se retrouve seul dans cette Vendée, au milieu des champs de bataille déserts où il ne rencontre plus que sa gloire ».

Séparés ainsi de leurs chefs qu'ils croient morts ou captifs, les Vendéens s'abandonnent au désespoir. Il fallut évacuer Ancenis, où l'artillerie de Westermann venait de lancer quelques boulets. Des soldats abandonnent leurs drapeaux, vont se cacher dans la campagne, ou remontent et suivent le fleuve pour chercher un passage. D'autres, confiants dans les émissaires de Carrier qui promettait la vie sauve à ceux qui rendront les armes, se dirigent vers Nantes où le proconsul les fait fusiller à leur arrivée ; enfin mille à douze cents passent la Vilaine entre Nieux et Redon, pour aller former le noyau des bandes chouanes qui bientôt désoleront la Bretagne. - Enfin 10.000 combattants, derniers débris de la Grande-Armée, arrivent sans général à Nort, où une scission grave s'opère entre les chefs qui, dit-on, voyant que la dissolution était prochaine, se partagent la caisse de l'armée.

 

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Les uns se jettent dans la forêt du Gâvre avec Sapinaud, Forestier, etc., les autres, arrivés à Blain, nomment Fleuriot (1) général en chef, au grand chagrin de Talmont qui les abandonne. La rivalité jusque dans la ruine ! Enfin quelques milliers de braves, exténués, à demi-nus, les uns vêtus de robes, les autres coiffés de turbans, ceux-ci enveloppés de rideaux, commandés par Marigny, Piron, Desessarts, Donissan, Lyrot, Tinguy, Beauvolliers jeune, l'abbé Bernier, etc., évacuent Blain, où à l'abri du château crenelé, ils ont repoussé l'infanterie légère et s'arrêtent à Savenay, leur dernier refuge, au milieu d'un cercle de feu tracé par Marceau, Kléber, Westermann, Beaupuy, Canuel, Savary et toutes les forces républicaines.

Le soir du 22, elles enveloppent la ville et forment un. croissant sur les hauteurs. Westermann propose d'attaquer pendant la nuit, mais Kléber s'y refuse, disant « qu'il avait trop bien commencé l'affaire pour la laisser terminer par un autre ».

Le lendemain 23, à la pointe du jour, Kléber monte à cheval avec Westermann et Canuel. Il fait avec eux une reconnaissance autour de la ville, et trace à chacun le chemin qu'il doit suivre pour l'attaque. C'était le jour suprême de la grande Vendée : il rie fut pas le moins glorieux. A huit heures du matin, sous une pluie froide qui entrait dans les pores, le canon et la fusillade se font entendre. Les Vendéens, les pieds dans la boue, chargent les premiers avec tant d'impétuosité qu'ils font reculer l'avant garde. Kléber arrive et la ramène au feu : Général, nous n'avons plus de cartouches. « Eh bien ! répond Kléber, ne sommes-nous pas convenus hier que nous les écraserions à coups de crosses ? »

Canuel tourne Savenay et l'attaque sur la gauche : Marceau se charge du centre, et la division de Cherbourg s'avance sur la droite. Le pas de charge se fait entendre partout ; les soldats s'élancent à la baïonnette, et bientôt les Vendéens, écrasés par le nombre reculent, non sans vendre chèrement leur vie.

Marigny, avec les plus braves, portant le drapeau de Mme de Lescure, revient trois fois à la charge et « intimide la mort ellemême ». Un enfant de quatorze ans, le jeune de la Voyrie, ne l'abandonne pas un instant. Les collègues de Marigny l'imitent de toutes parts. Fleuriot cède enfin, et gagne les forêts voisines à travers les canons et les fusils, les morts et les mourants. Marigny, Piron et Lyrot veulent absolument mourir. Ils rentrent dans Savenay, face à face avec Kléber. Les deux derniers tombent percés de vingt coups. Lyrot expire avec son beau cheval blanc connu des deux armées. Marigny fait mieux que de périr, il assure le salut des autres. Avec deux canons pointés sur la route de Guérande, il arrache aux Bleus les femmes et les enfants : « Femmes, sauvez-vous, tout est perdu ! » s'écriat-il, et une heure durant le combat recommença. - Un brave canonnier de Cholet servit sa pièce jusqu'au dernier moment, pendant que succombaient bravement La Roche-Saint-André Des Nouhes, et le jeune Armand de Beaurepaire, âgé de 14 ans. Puis Marigny bat en retraite le dernier avec Mondyon, Donissan et Desessarts.

L'armée vendéenne était dispersée sans retour. Il ne restait plus à exterminer en détail que les débris qui n'avaient pas trouvé la mort entre Savenay, les marais et la Loire (2). C'était l'affaire de Westermann et de Carrier : ils s'en acquittèrent parfaitement...

Ici finit l'histoire de la grande guerre si justement nommée ; nous n'ajouterons à l'éloquence des faits que les paroles suivantes du général Beaupuy adressées à Merlin de Thionville, le lendemain de la bataille de Savenay.

« Enfin, mon cher Merlin, elle n'est plus, cette armée royale ou catholique. Des troupes qui ont battu de tels Français peuvent se flatter de vaincre tous les peuples de l'Europe réunis contre un seul. Cette guerre de paysans, de brigands, qu'on affectait de regarder comme si méprisable, m'a toujours paru, pour la République, la grande partie ; et il me semble maintenant qu'avec nos autres ennemis, nous ne ferons plus que peloter. »

 

 

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(1) Fleuriot, né à Ancenis le 30 octobre 1738, capitaine de cavalerie en 1780 ; chevalier de Saint-Louis, maréchal des logis aux gardes du corps du roi en 1785 avait été un des premiers engagés dans la guerre civile, à laquelle il survécut ; il

mourut le 20 octobre 1824. Avait d'abord servi dans l'armée de Stofflet, puis dans celle de Charette.

(2) Le butin ramassé au Mans et durant, toute la déroute jusqu'à Savenay dut être énorme. « Les cinquantes carrosses » et les carrioles innombrables qui suivaient « la grande armée catholique » contenaient tous les effets précieux de la noblesse vendéenne. Les malheureuses femmes qui avaient accompagné leurs maris, leurs pères et leurs frères dans cette folle aventure, avaient sur elles leurs bijoux et leurs bourses. Leur dépouillement fut sans doute pour beaucoup des vainqueurs une source d'enrichissement mais aussi de démoralisation profonde.

« Le trésor formé des dépouilles des églises des villes traversées, et que le faux évêque d'Agra avait entassées, brisées pour la fonte, dans trois cabriolets fut saisi sur la place de l'Eperon par les cavaliers de Westermann. C'est de là que le général tira « les dépouilles épiscopates » qu'il étala à la barre de la Convention ». - La Vendée patriote. - T. II, page 439.

 

 

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