Le désastre des royalistes à Cholet s'achevait par
la perte du seul chef qui fut capable d'y remédier. La mort
de Bonchamps complétait la victoire des républicains.
Ils ne s'y trompèrent point : aussi le représentant
du peuple à l'armée de l'Ouest put-il écrire
à la Convention. « La mort de Bonchamps vaut une victoire
pour nous ». Néanmoins grâce à des prodiges
de courage et d'abnégation, plus de cent mille fugitifs dont
la moitié à peine en état de porter les armes,
se disputant quelques misérables barques (1), avaient pu franchir
la Loire où chose incroyable un seul homme trouva la mort.
Les trente deux canons dont disposait encore l'armée royale,
les caissons, les bagages, tout le matériel enfin traversèrent
le fleuve à Varades ou s'étaient portés de La
Rochejaquelein, le prince de Talrnont, d'Autichamps et le chevalier
de Turpin dont le dévouement fut admirable, et l'armée
put se reposer deux jours avant de s'acheminer vers la Bretagne. -
On conçoit la rage de Westermann et de Merlin lorsqu'en arrivant
le 19 à Saint-Florent, ils aperçurent les Vendéens
sur la rive droite et pas un bateau pour aller écraser cette
proie qui leur échappait.
Colonne commémorative élevée
à l'endroit ou l'armée vendéenne franchit la
Loire près Saint-F'lorent-le-Viel.
Mais la Grande Armée n'avait plus de chefs. Bonchamps
venait de mourir, Lescure atteint d'un coup de feu à la Trernblaye,
était mourant, et d'Elbée, blessé grièvement
à Cholet, avait été conduit à Noirmoutier,
sous la protection de Charette. Réunis autour du lit de Lescure,
les chefs de division choisirent tous pour généralissime
un jeune homme de vingt et un ans, un héros, une de ces nobles
et chevaleresques figures qui honorent un parti, Henri de La Rochejaquelein.
Henri de la Rochejaquelein
« Conduite par un tel chef, la Grande Armée ne
pouvait qu'aller en avant. Les cinquante mille hommes qui la, composaient
encore jetèrent un dernier regard sur la rive maternelle (dulcis
moriens reminiscitur Argos) » et prirent avec résolution
la route de Laval, contrairement à l'avis de Lescure, qui désirait
qu'on marchat sur Nantes, dont la garnison était entrée
dans la Vendée, et qui donnait un moyen facile de combiner
les opérations avec le corps de Charette sur les derrières
des républicains. Mais avant de les suivre dans cette voie,
nous devons reporter les yeux en arrière.
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(1) Vingt mauvais bateaux, dit Chateaubriand, servirent
à transporter sur l'autre rive de la Loire la fortune de la
monarchie.
NOIRMOUTIER OCCUPÉ PAR CHARETTE
(11-12 OCTOBRE 1793). - MORT ADMIRABLE DU JEUNE RICHER. - LE DÉPARTEMENT
LE VENGÉ. - HORRIBLES MASSACRES.- LE PUITS-DE CLISSON
Des chefs qui n'étaient point, à la bataille de Cholet
et qui se trouvaient isolés sur la rive gauche, les uns déposèrent
les armes en attendant l'occasion de les reprendre ; les autres continuèrent
la guerre de clocher contre les détachements républi
cains. Après être rentré dans Légé
et avoir échoué devant Saint-Gilles qu'il abandonna
le 10 octobre, Charette, obstiné dans ses écarts, occupa
avec plus de gloire que de profit Noirrnoutier, cette petite Hollande
Vendéenne. Il y entra à marée basse, dans la
nuit du 11 au 12 octobre, par le passage si périlleux du Goa.
Il combattit dans l'eau jusqu'aux genoux, et tua de sa main sur la
pièce qu'il pointait le chef bleu Richer et son jeune fils.
Il offrit inutilement la vie à ce dernier : « Tuez-moi,
s'écria-t-il, je déteste les rois comme mon père
! Je veux mourir comme lui pour la République : voilà
dix francs pour ceux qui seront chargés de mon exécution.-
Je les prie de bien m'ajuster (1) ».
Malgré l'énergique défense du commandant républicain
Wieland (2), la ville capitula. Huit cents prisonniers enfermés
au château furent ensuite emmenés à Bouin, où
Pajot, après leur avoir fait subir d'horribles traitements,
en massacra un grand nombre. Charette installa une sorte de gouvernement
à Noirmoutier, et envoya Pierre de la Robrie traiter avec l'Angleterre.
Mais il apprit alors le désastre de Cholet dont il pouvait
s'accuser à si juste titre. « J'ai peut-être eu
tort ! » dit-il d'une voix sourde, et il quitta brusquement
Noirmoutier, qu'il offrit pour asile à d'Elbée qu'il
avait rencontré mourant à Touvois. Charette regagna
son quartier général deLégé où
il rallia les derniers champions du Bas-Poitou : Joly, Couétus,
Savin, La Cathelinière, Pajot, Guérin, Prud'homme, Lecouvreur,
Lucas-Championnière, etc., et il prouva à la Convention
que la Vendée n'était rien moins que soumise.
Merlin (de Thionville) proposa alors de nommer cette terre le Département
vengé, et de le partager à de pauvres sans-culottes
à condition qu'ils en détruiraient, en six mois, tous
les bois et toutes les clôtures (3).
Fayau fut plus expéditif et mieux écouté : «
Je pense, écrivit-il, qu'il faut envoyer en Vendée
une armée incendiaire pour que, pendant un an au moins, nul
ne puisse trouver de subsistance sur ce sol ennemi. » Cela
était trop radicalement monstrueux pour ne pas séduire
La Convention. Elle approuva la chose et le Comité de Salut
public se chargea de l'exécution. Nous verrons bientôt
à l'uvre ses colonnes infernales. Barrère n'avait-il
pas dit à la tribune : « Il faut désoler jusqu'à
la patience des Vendéens ! »
Nous ne dirons pas les horribles vengeances qu'exercèrent
sur les pays de Tiffauges, de Vallet et de Clisson, les vaincus de
Torfou, de Montaigu et de Saint-Fulgent, non plus que les actes de
sauvagerie et d'infamie qui accompagnèrent l'ensevelissement
de trois cents vendéens vivants dans le puits du château
de Clisson.
Retournons maintenant sur la rive droite où la grande armée
avait reçu deux coups au moment de se mettre en marche : 1°
- un bref du pape qui démasquait l'évêque d'Agra,
et laissait l'abbé Bernier maître, absolu dans le Conseil
- bref apponté à Londres par le chevalier de Saint-Hilaire,
continuateur de la mission de Tinténiac ; 2° la nouvelle
de la mort de Marie-Antoinette décapitée le 20 octobre.
A cette nouvelle tous les Vendéens agenouillés fondirent
en larmes, et demandèrent grâce à Dieu pour la
France, tandis que les Sans-Culottes dansaient de joie, comme des
cannibales au milieu des villes illuminées ».
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(1) La ville de Paris a consacré la mémoire
du jeune héros patriote, en donnant son nom à l'une
de ses rues.
(2) Wieland, prisonnier sur parole, fut néanmoins
fusillé par les Bleus, en meule temps que d'Elbée, le
9 janvier 179l, lors de la reprise de l'île.
(3) La proposition fut faite dans la séance du
7 novembre 1793, et le 15 du même mois, la commune de Fontenay-le-Comte
prenait le nom de Fontenay-le-Peuple.
L'ARMÉE S'EMPARE D'INGRANDES,
CANDÉ, SEGRÉ,
CHATEAU-GONTIER ET LAVAL (23 Octobre)
L'armée se dirigea d'abord sur Ingrandes, dont elle s'empara
sans trop de résistance, ainsi que de Candé, Segré
et Château-Gontier.
« Le 23 octobre enfin, l'année parait devant Laval.
On relève son courage et on la remet en ordre en lui lisant
les proclamamations républicaines qui l'appelaient hordes
de monstres, lui attribuaient les crimes de ses ennemis, et la
vouaient au massacre et à la noyade. Elle s'élance sur
les quinze mille soldais d'Esnue-Lavallée, les met en déroute
et entre dans Laval. La Rochejaquelin fut encore sublime ce jour-là
: un grenadier bleu venait de le manquer à bout portant. Il
le saisit et le terrasse de la main gauche (depuis Martigné
son bras était toujours en écharpe) quatre paysans accourant
et vont égorger le grenadier. - « Arrêtez, leur
crie le héros, et s'adressant au républicain : Va dite
à tes camarades que tu t'es mesuré avec le général
des Brigands qui n'a qu'un bras et pas d'armes, qu'il t'a jeté
à terre et laissé la vie ! »
Malgré les espérances du prince de Talmont (1) qui
avait à Laval d'immenses propriétés, on fit peu
de recrues et les Vendéens, malgré le concours de quelques
chouans du Maine amenés par Jean Cottereau, ne durent guère
compter que sur eux-mêmes.
Le prince de Talmont
(1) Philippe de Talmont, second fils du duc de
la Trémoille, avait mené jusqu'à vingt-sept ans
la vie la plus follement libertine. Réveillé en sursaut
par l'explosion révolutionnaire, il seconda La Rouerie, alla
faire la première campagne de l'émigration, revint assister
àl'exéculion de Louis XVI, espérant l'enlever
à l'échafaud, se rejeta dans l'ouest, où il fut
arrêté, et attendait la mort dans les prisons d'Angers,
lorsque l'abbé de la Trémoille, son frère, le
racheta au poids de l'or. Sommé de choisir entre l'Angleterre
et la Vendée : « Je choisis la Vendée »,
s'écriat-il, et il joignit à Saumur l'armée royale,
où il exerça les fonclions de général
de cavalerie. Arrêté après l'affaire de Nort,
chez l'un de ses maîtres de forge au moment où il essayait
de rejoindre sa principauté de Laval, il fut assené
au général Beaufort, qui ne put empêcher le prince
d'être décapité à Laval, devant le château
de ses pères.
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COMBAT DE LA CROIX DE BATAILLE (25
Octobre 1793)
Après deux jours de repos à Laval, la Grande Armée
fut, le 25, attaquée par les Mayençais. Malgré
l'avis de Beaupuy, qui faisait remarquer que les soldats étant
harassés, il valait mieux attendre au lendemain, Westermann
ne voulut rien entendre. Sans attendre les divisions de Kléber,
de Canuel et de Chalbos qui devaient arriver le lendemain, venant
de Nantes par la rive gauche de la Loire, il ordonne au capitaine
Hauteville d'aller reconnaître l'ennemi. Cet officier charge
les premiers postes et les oblige à se replier. Le tocsin sonne
; les Vendéens, revenus de leur première frayeur et
favorisés par l'obscurité prennent en queue l'armée
républicaine, qui se défend avec acharnement. Le désordre
devient tel qu'à l'instar de ce qui s'était passé
à Saint-Fulgent, on s'entre-massacre sans se voir en puisant
aux mêmes caissons. Stofflet eut son cheval étouffé
entre ses jambes. Un officier bleu voulait franchir un fossé,
le royaliste Keller lui tend la main sans le reconnaître; puis
apercevant son uniforme à la lueur d'une décharge, il
lui fend la tête d'un coup de sabre... Westermann et Beaupuy
laissèrent une foule de morts sur le terrain et se replièrent
sur Château-Gontier où ils trouvèrent Léchelle
et Kléber. Malgré l'avis de ce dernier, et en dépit
du mauvais état des Bleus (ils étaient comme les Vendéens
sans pain et sans souliers) une bataille générale fut
résolue. Elle eut lieu le 27 octobre.
BATAILLE DE CHATEAU-GONTIER (27 Octobre
1793)
Averti dès le matin des intentions de l'ennemi, La Rochejaquelein
dispose ses forces avec une prévoyance admirable « Mes
amis, dit-il aux Vendéens, il s'agit de venger la défaite
de Cholet et de sauver vos femmes et vos enfants ! » De son
côté, Lescure soulagé par l'espérance,
veut remonter à cheval on l'en empêche de vive force...
Mais il s'arrache de son lit, se place à une fenêtre
et encourage les Vendéens de sa voix mourante. Electrisés
par ce spectacle, tous les chefs oublient leurs dissentiments pour
triompher. Stofflet, Royrand, Sapinaud, Talmont, Forestier, Donissan,
Piron, d'Autichamps (1), Fleuriot attendent les ordres de La Rochejaquelein...
Du côté des Bleus les bons généraux ne
manquent pas, sans compter Kléber et Marceau ; mais c'est un
imbécile qui les commande et qui va les perdre. Le premier
ordre de Léchelle est un modèle de « crasse ignorance
» (expression de Kléber ). On lui obéit pourtant,
et le corps d'armée en subit la peine. Une batterie le protège
heureusement à Entrammes ; mais Stofflet s'avance avec l'émigré
Saint-Hilaire. - « Vous allez voir, lui dit-il, comment les
Vendéens enlèvent les canons. » Et sur un signe
de sa main, Martin de la Pommeraye et ses braves se ruent sur les
pièces et les retournent contre les Bleus, après avoir
tué les artilleurs. Henri, cependant, ranime tout de son courage
et dirige tout par son sang-froid. Voyant tomber M. de Royrand et
ses soldats le pleurer : « Nous le pleurerons demain, vengeons-le
aujourd'hui ! Et ils écrasent en effet les Mayençais
comme un seul homme. Ceux-ci voient alors Léchelle en fuite
et abandonnent leur artillerie. Westerman, Kléber et Marceau
sont entraînés par le torrent. La déroute des
Républicains devient générale. Les Blancs allaient
s'égailler pour les poursuivre ; Henri fait un tour
de force : il les maintient en ligne. Pressés par cette masse
compacte, les Mayençais se jettent dans la Mayenne. Un seul
bataillon rend les armes... C'est celui qui a fait le plus de
mal dans le Bocage. Sur l'ordre de Stofflet, il est cerné et
fusillé en masse. Bloss et Beaupuy courent au-devant des balles
vendéennes. Ce dernier, enlevé du champ de bataille,
adresse à ses grenadiers sa chemise trouée et sanglante.
Ils l'arborent comme une bannière et recommencent le combat.
- « Eh bien ! s'écrie La Rochejaquelein, est-ce que les
vainqueurs coucheront dehors et les vaincus dans la ville? »
- Puis il enlève lui-même la position, chasse les derniers
Mayençais de Château-Gontier et pénètre
vainqueur dans cette ville, le drapeau blanc à la main, après
douze ou treize heures de combat.
Le triomphe des Vendéens était complet. Il les fit
passer de l'abattement du désespoir au délire de la
joie. « Vive le Roi ! Vive M. Henri ! » criaient-ils en
se partageant les dépouilles des Bleus.
Les ennemis mêmes de La Rochejaquelein ne purent lui refuser
leur admiration : « Ce jeune homme, écrivit Kléber,
a bravement gagné ses éperons de généralissime.
Il a montré dans cette malheureuse bataille une science militaire
et un aplomb dans les manuvres que nous n'avions pas retrouvés
chez les Brigands depuis Torfou. C'est à sa prévoyance
et à son sangfroid que la République doit cette défaite
qui a consterné nos troupes. » Et plusieurs années
après, le général Jomini, l'expert stratégiste
écrivait aussi : « Cette bataille place bien haut ce
jeune homme dans l'estime des gens de guerre. »
Que devenait cependant Léchelle ? Il fuyait l'armée
qu'il venait de perdre, et il osait dire aux derniers Mayençais
« Qu'ai-je donc fait pour commander à de tels lâches
? » - « Et nous ? répondaient ces braves expirants,
qu'avons-nous fait pour obéir à un tel jean-f...
? » - « Quant à moi. s'écriait Westermann,
je ne lui obéirai plus ! j'aimerais mieux servir sous les Brigands
que sous un pareil homme ! »
Ainsi hué par ses soldats et destitué par ses officiers,
Léchelle se réfugia à Nantes, où il mourut
de honte entre les bras de Carrier. On prétend qu'il s'empoisonna
lui-même : il ne pouvait périr dignement que de sa
propre main.
Jamais la chance n'avait tourné si brusquement ni si complètement.
L'armée républicaine ne méritait plus ce nom.
« Figurez-vous, dit Kléber lui-même, un tas de
malheureux mouillés jusqu'aux os, sans tentes, sans paille,
sans souliers, sans culottes, quelques-uns sans habits, grelottant
de froid et n'ayant pas un seul ustensile pour faire leur soupe...
Figurezvous des drapeaux entourés de vingt, trente ou cinquante
hommes au plus, criant à l'envi : « Les lâches
sont à l'abri et nous périssons ici dans la misère
! etc. » Tels étaient les débris qu'il fallut
ramener péniblement à Angers (2). »
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(1) D'Autichamps, né à Angers le 8 août
1770 était en 1791, adjudant-major de la garde à cheval
du roi. La garde constitutionnelle du roi ayant été
licenciée le 5 juin 1792. Charles d'Autichamps continua son
service aux Tuileries, jusqu'à la journée du 10 août.
Il se rendit ensuite dans l'Anjou et prit part, dès le début,
à l'insurrection. vendéenne, sous les ordres de d'Elbée
et de Bonchamps. Breveté maréchal de camp en 1797, il
continua à prendre une part importante aux derniers soulèvements
; fut un moment qualifié de général en chef des
armées catholiques et royales : des derniers, il déposa
les armes, lors de la pacification définitive, le 4 février
1800. La Restauration le fit Lieutenant-général et pair
de France (1814). Il mourut en 1852.
(1) Pitre-Chevalier, 467, 470.
LA GUERRE DE GÉANTS
Eh bien ! c'est ici que la guerre de l'Ouest devient des deux
parts une guerre de géants ! A Cholet la Vendée
entière était, anéantie ; et dix jours plus tard
elle ressuscitait victorieuse. A Laval la République n'avait
plus de soldats, et douze jours après elle retrouvait une armée
!... Mais par quels moyens, juste ciel ! Voici le sublime de la Terreur
!
Hommes et femmes, vieillards et enfants, sont mis en réquisition
permanente... « Les jeunes gens, dit l'arrêté révolutionnaire,
iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes et
transporteront les subsistances, les femmes feront des tentes, des
habits et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront
le vieux linge en charpie, les vieillards se feront porter sur les
places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher
la haine des rois et l'unité de la République. ».
On a besoin de poudre ! Tous les bâtiments en démolition
sont livrés à la Commission des Salpêtres... On
aggrave la loi des suspects et on appelle aux armes tous les hommes
valides.
Ainsi la République improvisa une nouvelle armée. Entre
la guillotine et le champ de bataille, tout le monde, préféra
le champ de bataille. On mit les recrues dans les villes et les garnisons
en campagne. Poussés par les conventionnels, elles arrivèrent
comme un torrent sur tous les points menacés (1).
Cependant les chefs vendéens, tranquilles à Laval,
délibéraient sans pouvoir s'accorder sur la marche qu'ils
avaient à suivre. Ce n'était plus le moment d'essayer
de repasser la Loire et de rentrer dans leurs foyers : ils n'avaient
qu'à choisir entre la pointe de la Bretagne et celle de la
Normandie. L'extrême Bretagne où dominaient les prêtres
et les nobles était prête à se soulever; le pays,
coupé de montagnes et de forêts, leur aurait fourni des
moyens faciles de résistance, et sur les bords de la mer une
communication avec les Anglais. L'extrême Normandie, plus éloignée,
mais plus facile à garder, leur offrait la place de Cherbourg,
très accessible du côté de la terre, pleine d'approvisionnements
de toute espèce, et située de manière à
les mettre en rapport avec la croisière anglaise. Ennuyé
d'attendre la décisionn du Conseil, Stofflet donna de sa propre
autorité le signal du départ.
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(1) Pitre-Chevalier, Darmaing et Bonnemaire, l'abbé
Prunier Crétineau-Joly, Mme de La Rochejaquelein, etc.
OCCUPATION DE MAYENNE ET DE FOUGÈRES
(2 et 3 Novembre)
MORT DE LESCURE (4 Novembre 1793)
Le jour de la Toussaint, l'armée abandonna Laval et occupa
successivement Mayenne, évacuée par les 17.000 hommes
du général Lenoir, fuyant sur le simple avis que les
Brigands étaient à quatre lieues (2 et 3 novembre).
Le 4, elle entra dans Fougères, après en avoir chassé
l'ennemi. Ce fut près de cette dernière ville, au village
de la Pèlerine, qu'après vingt jours d'agonie, mourut
le Saint du Poitou, Lescure, en adressant à sa femme ces belles
paroles :
J'ai toujours servi Dieu avec piété, j'ai combattu
et je meurs pour lui ; j'espère en sa miséricorde.
J'ai souvent vu la mort et je ne la crains pas ; je vais au ciel
avec confiance. Je ne regrette que toi : j'espérais faire ton
bonheur. Si jamais je t'ai donné quelque sujet de plainte,
pardonne-moi. » C'était le 4 novembre Lescure n'avait
que 27 ans.
A Fougères, où l'on resta quatre jours, les officiers
royalistes s'assemblèrent pour déterminer la marche
à suivre. L'armée était décimée
par les maladies ; l'hiver approchait, que faire ? Tout à coup
un transfuge se présente : c'est d'Oppenheim, officier du génie.
Il persuade aux chefs vendéens d'assiéger Granville,
avec l'appui d'une flotte anglaise qui ne vint pas.... Et les Vendéens,
malgré l'avis de Marsange et de la Rochejaquelein, allèrent
se faire broyer à Granville.
ARRIVÉE DES VENDÉENS
A DOL (9 Novembre)
Le 9, l'armée royale arriva à Dol qui fut occupé
sans combat. Elle mit à contribution les principales notabilités
de la ville, pilla diverses maisons et s'empara de linge, vivres,
blé, etc. Épuisée par de longues marches dont
elle n'avait pas l'habitude, atteinte de ce mal du pays qui consume
le Breton et le Vendéen loin de leurs chaumières, elle
éclate en murmures, n'écoute plus la voix de ses chefs
ni des abbés Bernier et Jagault ; elle veut, malgré
La Rochejaquelein, reprendre le chemin du Bocage.
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SIÈGE DE GRANVILLE (14 Novembre
1793)
Après avoir occupé Avranches et Pontorson (10 novembre),
La Rochejaquelein assiège en vain Granville avec trente mille
hommes découragés. Il somme la place de se rendre «
au nom de l'humanité et de la religion ». Le conventionnel
Le Carpentier et les généraux Peyre et Vachot, entourés
de toutes les forces du pays leur répondent à coups
de canons. Ils savent que les Vendéens, toujours malheureux
dans les sièges, n'ont pas même d'échelle pour
monter à l'assaut, et que l'Angleterre n'enverra ni flotte
ni artillerie.
Cependant Talmont, La Rochejaquelein, Donissan, Forestier, Scépeaux
(1), etc., pénètrèrent hardiment dans les faubourgs...
M. le Grand de la Liraye, toujours au premier rang, dispose les pièces
d'attaques avec une telle adresse qu'il balaye les républicains.
Mais en quittant les faubourgs ils y mettent le feu et ce nouvel ennemi
arrête les Vendéens. Bientôt les flammes se retorunent
contre ceux qui les ont allumés. Marigny les avive encore en
tirant à boulets rouges sur la ville. Les assiégés
veulent aller éteindre le feu qui consumme leurs maisons. Le
Carpentier les arrête, le fusil sur la gorge. Le municipal Desmaisons
meurt sur la brèche, en y traînant des femmes et des
enfants chargés de munitions.
Les Vendéens reviennent à la charge par la grève
; ils escaladent le roc en y enfonçant leurs baïonnettes
: ils vont entrer cette fois dans la ville et s'en emparer à
l'arme blanche, lorsqu'un déserteur, un traître, leur
crie : « Fuyez ! Nous sommes vendus !... » Allard
brûle la cervelle au misérable, mais le coup fatal est
porté... Le cri de trahison parcourt les rangs... Les plus
braves s'arrêtent... Les autres les entraînent. La nuit,
toujours funeste aux paysans, met le comble à leur épuvante.
Aux lueurs de l'incendie qui enveloppe Granville, ils aperçoivent
les trois étages de forts et de canons qui les foudroient.
En vain La Rochejaquelein les ramène à l'assaut ; en
vain les prêtres les y repoussent, la croix à la main
; en vain les femmes et les enfants leur crient : « Nous sommes
perdus si vous n'êtes vainqueurs ! »... Rien ne peut arrêter
la déroute qui renverse les chefs et leur passe sur le corps
(2). - Les défenseurs de Granville redeviennent alors citoyens
et repoussent le feu avec le même courage que l'assaut (3).
(1) De Scépeaux, né à Angers le
19 septembre 1768, avait servi dans la cavalerie jusqu'au 10 août
1792. Retiré dans sa terre d'Anjou, il se joignit à
son beau-frère Bonchamps, et suivit l'armée vendéenne
sous Granville. Après la défaite du Mans, il resta sur
la rive droite de la Loire, accepta la pacification de Charette, mais
bientôt reprit les armes pour soutenir Stofflet. Il joua un
rôle diplomatique assez important avec de Béjarry. Emprisonné
plus tard à Angers, il parvient à se faire remettre
en liberté, pour reprendre les armes. Il fit sa soumission
le 22 avril 1796. En 1809, il prit du service dans l'armée
impériale et passa en Espagne. En 1814, il participa à
la défense de Lyon contre les alliés. Il mourut général
de brigade à Angers, le 28 octobre 1821, âgé de
53 ans.
(2) Après le dernier combat, on trouva sur le
bord de la mer plus de 1.200 cadavres étendus la face contre
terre, et dépouillés de leurs armes et de leurs vêtements.
- Les Vendéens perdirent environ 2.000 hommes. (Launay, d'après
un témoin oculaire).
(2) Pitre-Chevalier et Darmaing, p. 253.
VICTOIRE DE PONTORSON (18 Octobre
4793)
Les Vendéens, après avoir mis à sac Villedieu,
retrouvèrent un courage désespéré pour
reprendre le chemin de leur pays... Cernés par tous les généraux
et par tous les conventionnels qui semaient leur route de femmes et
de malades égorgés, ils écrasent le 18 novembre,
dans la grande rue de Pontorson, tout le corps d'armée de Triboust
(1). Ce fut une boucherie sans quartier, durant près de cinq
heures... M. Le Grand l'avait, en tirant sa montre, annoncée
par cette héroïque plaisanterie. - « C'est
à quatre heures, mes amis, que le bal commence !... »
Il ne finit qu'à neuf heures et laissa Pontorson encombré
de morts et de mourants. Le brave Forêt y resta percé
de balles. Triboust avoua à la Convention que son armée,
qui avait perdu quatorze pièces de canons et des caissons,
avait été mise un peu en déroute. Pendant ce
temps-là, sa femme, autorisée par lui, jouait la comédie
sur les théâtres de Brest (2). La victoire de Pontorson
ouvrait les portes de Dol aux Vendéens.
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(1) Triboust, ancien tambour-major, bon grenadier, ne
sachant ni lire ni écrire, mais maniant parfaitement le sabre
et la bouteille.
(2} Pitre-Chevalier et Darmaing, page 253.
VICTOIRE DE DOL (20 Novembre 1793)
Malgré cet échec, les généraux républicains,
Marceau, Kléher, Savary et Rossignol, résolurent de
cerner Dol, où, les royalistes étaient entrés
le 19 novembre, et de détruire peu à peu les débris
de la Vendée.
Westermann les sauva en se ruant sur eux le 20 novembre à
minuit. Le Conseil de guerre tenait encore séance, lorsqu'arriva
de lui une dépêche annonçant que, informé
de la situation misérable des Vendéens, il allait cette
nuit même du 20 au 21, se jeter sur eux, se déclarant
sûr du succès ; si l'on faisait marcher une colonne par
la route d'Antrain. Malgré les objections des généraux,
Prieur et les autres représentants, enthousiasmés au
cri de : « Mort aux brigands ! » font donner à
Marceau l'ordre d'opérer le mouvement réclamé
par Westermann.
Mais celui-ci n'a pas même attendu la répônse
à sa dépêche. La cavalerie de Bouin de Marigny
a couru jusqu'à l'entrée de Dol d'où elle a été
repoussée, et cette bravade des hussards a donné l'alarme
aux royalistes une heure et demie avant l'arrivée des républicains.
« Pour la première fois, la Rochejaquelein était
parvenu à établir des patrouilles et des sentinelles.
Lamasse énorme et gémissante des femmes, des blessés
et des invalides était rangée des deux côtés
de la rue. Au milieu figuraient les chariots, les bagages et l'artillerie
de rechange. Entre les canons et les femmes se tenait la cavalerie,
bride et sabre en main, prête à s'élancer au combat.
Au premier cri de mort aux brigands ! poussés par les
soldats de Westermann, les tambours annoncent dans tous les camps
qu'il faut vaincre ou mourir.
Les deux partis se choquent dans L'ombre, et les Bleus reculent.
En avant la cavalerie ! crie Forestier, et il enfonce les
troupes de Westermann.
Marceau, parti d'Antrain vers deux heures du matin, a conduit sa
colonne jusqu'à une lieue de Dol, mais Stofflet lui barre la
route et résiste trois heures. Muller arrive à son tour,
mais ses soldats ivres ainsi que lui, n'apportent que le désordre.
Marceau rétrograde vers Kléber, et tous deux joignent
leurs divisions. Westerman et Marigny, digne homonyme du Marigny vendéen,
sont repoussés une seconde fois. Ce dernier, démonté
et désarmé, protège la retraite avec un admirable
courage. La Rochejaquelein s'élance enfin au secours de Stofflet
contre Kléber et Marceau. Et ce mouvement qui devait compléter
sa victoire, la compromet par la plus fatale méprise. Voyant
leur général s'échapper au galop, les Vendéens
le croient en déroute et rentrent à Dol en criant :
« Tout est perdu ! » Un épais brouillard ajoute
encore à l'horreur de la nuit. Rien ne saurait peindre le désordre
et le désespoir de cette armée de femmes, de malades
et de soldats confondus. - « Défendez-nous ! criaient
les malades... » Mourons avec nos chefs, répondaient
quelques braves. Mais la majorité perdant la tête et
croyant voir les Bleus, se dispersait dans toutes les directions.
Marigny sabre en vain les fuyards pour les ramener dans les rangs.
Les femmes du Poitou relèvent les armes qui jonchent la
terre et forment un bataillon autour de lui.
La veuve de Bonchamps supplie ses anciens soldats de ne pas se déshonorer.
Mesdames de Lescure et de Donissan rappellent au combat Stofflet entrainé
sous leurs yeux. Les épouses, armées de leurs enfants,
arrêtent la fuite de leurs maris comme jadis les femmes Cimbres
à Verceil. Elles prennent aux morts leurs fusils et crient
avec délire « Au feu, les Vendéennes !
» Les piètres, la croix à la main, ouvrent le
ciel aux braves et vouent les làches à l'enfer. L'abbé
Doucin, de l'île de Ré, crie à deux mille hommes
: « Livrez-vous vos familles aux Bleus ! non, c'est impossible
! A genoux, mes enfants, recevez l'absolution et allez mourir ! »
Et les deux -mille hommes s'élancent au cri de «
Vive le Roi : nous allons au Paradis ! »
Cependant La Rochejaquelein apprend cette erreur et ce désordre.
Il revient ventre à terre. Il se montre à tous. Il menace,
il supplie, il se désespère : « Mourons donc
! » s'écrie-t-il, et les bras croisés, il
affronte une batterie républicaine. La mitraille vole autour
de lui sans le toucher. - « Allons, dit-il, la mort
ne veut pas de moi ! » Et il court à l'aile droite
où l'appelle un feu roulant. C'est Talmont qui, avec huit cents
gars, arrête toute l'armée bleue et lui cache la déroute
des Vendéens ! Tant d'héroïsme rallie les fuyards
les plus égarés. L'abbé Doucin arrive avec ses
deux mille hommes. Stofflet, Marigny et La Rochejaquelein s'unissent:
« Ménagez vos dernières cartouches, dit
le général aux sauveurs de la Vendée, ne tirez
qu'à bout portant ! » Et ces malheureux qui se croyaient
vaincus, détrompés enfin, ressaisissent la victoire.
Rossignol est enfoncé, Kléber lui-même recule.
Les Mayençais font d'inutiles miracles de bravoure (1).
Marceau seul protège la retraite jusqu'au bois de Trans.
La joie des Vendéens dépasse leur épouvante.
Rentrés en triomphe à Dol, ils remplissent la vieille
église en chantant le Vexilla Regis. Ils s'agenouillent
devant l'abbé Doucin. Ils remercient leurs femmes d'avoir relevé
leur courage. Ils s'embrassent comme des condamnés graciés
au pied de l'échafaud (2).
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(1) La fureur des deux partis était telle que
les combattants s'étaient saisis corps-à-corps et se
déchiraient avec leurs mains.
(2) Extrait en grande partie de l'émouvant récit
de cette bataille fait dans Bretagne et Vendée, par
Pitre-Chevalier, pages 477-78. Voir aussi Darmaing.
NOUVEAUX SUCCÈS A ANTRAIN.
- BEAUX TRAITS DES VENDÉENS ET DES RÉPUBLICAINS. - LA
RECONNAISSANCE SAUVE L'ABBÉ DOUCIN
Le lendemain, les royalistes exténués de faim et de
fatigue se mettent en marche pour retourner dans leur pays, par Antrain
et Fougères. La Rochejaquelein prend la route de Pontorson,
et Stofflet celle d'Antrain. Bientôt la Rochejaqnelein se trouve
sur la droite des troupes républicaines, qu'il met en fuite.
Stofflet qui s'en aperçoit arrive au secours du généralissime.
On se bat de part et d'autre avec un égal acharnement. Après
quinze heures de combat, les républicains battent en retraite
sur Fougères et sur Rennes, pendant que les Vendéens
remplissent les rues d'Antrain. Cent cinquante prisonniers et blessés
restés au pouvoir des républicains venaient d'ètre
égorgés à Fougères, pendant que les femmes
malades subissaient le même sort après avoir été
violées. On agite au Conseil la question de savoir si l'on
n'usera pas de représailles, mais l'abbé Doucin et les
généraux obtiennent la grâce des Bleus, qui sont
renvoyés à Rennes avec des secours et ces mots de La
Rochejaquelein : « C'est par des actes d'humanité
que l'armée royale se venge des cruautés des ennemis
! »
Nous enregistrons ces faits avec d'autant plus de plaisir qu'ils
vont malheureusement devenir rares. Les autorités de Rennes
répondirent à cette générosité
en faisant trancher la tête à M. de Hargnes, pris par
les Bleus au. combat d'Antrain. D'un autre côté, la Commission
militaire de Laval se vantait « d'égorger les fanatiques
et les scélérats par douzaines, et d'arracher de leurs
niches tous les saints et toutes les saintes du paradis ».
Honneur en revanche aux vrais et bons républicains qui répudiaient
ces lâchetés ! L'abbé Doucin venait d'être
arrêté et passait devant un Conseil de guerre. Un témoin
à charge osa raconter comment le digne prêtre avait sauvé
cent cinquante Bleus à Antrain. Les juges s'émeuvent,
et au risque de leurs jours, absolvent l'accusé (1).
Les Vendéens pouvaient aisément, après leur
double triomphe gagner les ponts de Cé ou clé Saumur,
descendre même sur Rennes et rejoindre les Chouans morbihannais
; c'était l'opinion du curé de Saint-Laud et du généralissime,
tandis que le prince de Talmont proposait de retourner sur Granville,
qui n'avait plus de garnison ; la plupart des chefs adoptèrent
cet avis, mais une dyssenterie cruelle décimait les insurgés,
qui songeaient moins à vaincre qu'à retourner dans la
Vendée. Bref, rien. ne put arrêter la marche rétrograde
et fatale.
Les Bleus n'étaient pas moins désorganisés.
Kléber força l'incapable Rossignol de céder provisoirement
le commandement à Marceau. Thomas Séverin Marceau n'avait
alors que vingt-quatre ans. Né à Chartres en
1769, d'un procureur de cette ville, il avait salué la Révolution
qui lui promettait la gloire, et, est parti enfant et soldat du toit
paternel, il s'était élevé d'exploit en exploit
au grade de général. L'historien royaliste Crétineau,
qui ne peut être suspect, en fait un éloge superbe et
mérité que nous regrettons de ne pouvoir reproduire
ici.
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(1) Darmaing et Pitre-Chevalier.
LES VENDÉENS REGAGNENT ANGERS
(3 Décembre 1793)
Marceau accepta le commandement, et en attendant le retour de Turreau,
rappelé des Pyrénées Orientales, réorganisa
l'armée avec Kléher, qui consentit à diriger
le plan et les opérations de la campagne. Mais malgré
son activité, il ne put empêcher les Vendéens
repassant par Laval, de gagner avant lui Angers, occupé depuis
deux jours par les généraux Danican et Boucret, avec
leurs divisions. C'était le 3 décembre. La Rochejaquelein
et son conseil ordonnent un assaut général : Stofflet
promet le pillage. Les paysans exténués refusent l'un
et l'autre. Leurs chefs les entraînent enfin au combat. Il s'agissait
de rouvrir la porte de la Vendée ! Mais Angers, bien défendu
par les conventionnels Levasseur, Francastel, Esnue-Lavallée
et le général Beaupuy qui entraînèrent
les habitants aux armes, fut sauvé.
Les Vendéens cependant assaillirent la porte Cupif. Plusieurs
chefs s'y firent tuer. Et La Rochejaquelein allait forcer la position,
quand le républicain Marigny le surprit par derrière.
Les paysans se crurent attaqués par l'avant-garde de Marceau,
et prirent en désordre la route de Baugé par Pellouailles
et Suette. Le siège n'avait duré que deux jours.
GÉNÉROSITÉ DE
MARIGNY (RÉPUBLICAIN)
Marigny surpassa en cette occasion son homonyme vendéen (1).
Au moment ou les Vendéens battaient en retraite, l'intrépide
Richard Duplessis, qui avait eu un il crevé à
Châtillon, se lance au galop à travers les escadrons
républicains, reçoit une affreuse blessure qui ne fait
qu'exalter sa fougue, tue le premier hussard qu'il rencontre et pique
droit au général Marigny. « Je viens de verser
le sang de vos soldats : versez le reste du mien ! » Marigny
lui jeta un mouchoir pour bander ses plaies et le renvoya sain et
sauf. Il lui demanda seulement pourquoi les Vendéens s'obstinaient
à se battre. Pour se défendre contre la République,
répondit Richard, résumant ainsi d'un mot la guerre.
Voyant ce brave revenir au camp, La Rochejaquelein adressa à
Marigny les deux seuls prisonniers faits par ses soldats, offrant
d'en échanger toujours dix contre un. Un instant après,
Marigny était coupé en deux par un boulet de canon (2).
La Convention, qui l'eut destitué vivant, crut devoir honorer
sa mémoire : Elle offrit son cheval de bataille à son
père, au nom de la République.
Levasseur avait si bien exalté les Angevins, qu'après
le départ des Brigands « ils firent une procession lustrale,
et brûlèrent l'encens de la patrie pour purifier leurs
murs du contact royaliste (3).
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(1) Il s'appelait Bouin de Marigny, et était
d'une noble famille du Poitou. - Parent du général vendéen
du même nom. - « Chasseurs, achevez moi »,
telles furent les dernières paroles du héros républicain.
(2) Pitre-Chevalier, 401.
(3) Pitre-Chevalier, 401.
RETOUR DES VENDÉENS. - MORT
DE BARRA
(20 Novembre 1793)
Cependant la Vendée s'était émue au retour de
ses enfants. La Bouère et Pierre Cathelineau entreprirent de
leur ouvrir les Ponts de Cé. Ils battirent à Bressuire
le général Desmares, qui se vanta en fuyant de les avoir
mis en déroute.
« C'est alors que mourut le jeune héros Joseph Barra,
dont le nom est devenu si populaire. Depuis une année ce républicain
de douze ans, ordonnance du général Desmares, se battait
à la tête d'un régiment de hussards. Après
avoir chargé avec fureur et terrassé deux Vendéens,
il se fit tuer le 20 novembre (1) plutôt que de se rendre avec
les deux chevaux conquis par sa bravoure. Le noble enfant envoyait
à sa pauvre famille, à Palaiseau, tout ce qu'il gagnait
à la guerre. La Convention lui ouvrit le Panthéon, fit
à sa mère une pension de mille livres, et immortalisa
son nom en celui de Barra.
On sait que M. J. Chenier le place dans le Chant du départ.
Tel était le système de la république : «
d'une main elle jetait la terreur à ses ennemis, et de l'autre
la gloire à ses amis, enfantant ainsi d'un côté
tous les crimes et de l'autre toutes les vertus ».
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(3) Chassin dit qu'il fut tué le 7 décembre
1793, près de Jallais.
BEAU TRAIT DE MARCEAU
La Bouère et Cathelineau arrivèrent trop tard devant
Angers et renvoyèrent leurs gars à la charrue. Marceau
et Kléber venaient d'entrer dans la ville, où le premier
trouva l'ordre de suspendre le second. Il cache cet ordre jusqu'au
lendemain et reçoit alors contre-ordre. Il montre l'un et l'autre
à Kléber en lui tendant la main ; - « C'est toi
qui es mon général, lui dit-il : je ne demande que l'avant-garde
au combat. » - « Sois tranquille, répond Kléber,
nous nous battrons et nous nous ferons guillotiner ensemble ».
Ce trait de chevalerie repose l'âme au milieu d'une telle époque.
LES VENDÉENS ENTRENT A BAUGÉ.
- LA FLÈCHE ET LE MANS
Après être entrés à Baugé sans
coup férir, les Vendéens s'attendaient à marcher
sur Saumur et Tours, mais comme pour suivre cette direction il aurait
fallu prendre la levée de la Loire qui était occupée
par la division de Kléber, le conseil décida qu'on marcherait
sur le Mans, par la Flèche. Les paysans du Maine passaient
pour être royalistes : d'ailleurs c'était se rapprocher
de la Bretagne, où l'on pouvait trouver aide et appui.
Le 8 décembre, à l'approche de la Flèche, la
tête de l'armée aperçoit le pont coupé,
et quatre ou cinq mille hommes retranchés fortement sur la
rive droite du Loir. L'arrière-garde est mise en déroute
par Westermann, et la situation des Vendéens devenait critique.
De la Rochejaquelein la sauve par un coup de vigueur et d'audace.
Il s'empare du faubourg Ste-Colombe, d'où son artillerie balaie
les troupes ennemies, couvre la ville de projectiles et renverse la
flèche de l'église sur les assiégés. Il
prend ensuite trois ou quatre cents cavaliers qui mettent en croupe
autant de fantassins, remonte la rivière à trois quarts
de lieue, la passe au gué du moulin de la Bruyère, arrive
le soir aux portes de la ville dans laquelle il entre au cri prolongé
de « Vive le Roi ! » Les républicains épouvantés
fuient, mais l'arrière-garde, commandée par Talmont
et Piron, allait succomber dans la lande des Clefs quand le
jeune vainqueur arrive. Il fait un grand signe de croix, et s'élance
au galop de son cheval à travers les épais bataillons
des ennemis qu'il met en pleine déroute. La victoire était
complète, mais au prix de combien de sacrifices
L'église de la Flèche était pleine de malades
et de blessés : le sang inondait les parvis du temple et les
prêtres qui accompagnaient l'armée ne quittaient l'autel
que pour absoudre les mourants.
La plupart des officiers étaient restés à la
Flèche, où la troupe prit un jour derepos. De la Rochejaquelein
leur reprocha de l'avoir laissé combattre presque seul : «
Messieurs, leur dit-il, ce n'est pas assez de me contredire au conseil,
vous m'abandonnez au feu ». Et oui, quelques chefs commençaient
à abandonner leurs soldats avec désespoir, et Beauvolliers
avait déjà donné ce fatal exemple.
Mais Westermann va revenir en force. Où aller ? Les paysans
qui désertent rencontrent le sabre des Bleus ; les autres s'élancent
avec de la Rochejaquelein sur la route du Mans. Westermann passe la
Loire à la nage pour les exterminer, suit leur trace semée
de cadavres, mais ne peut les empêcher d'entrer au Mans, à
la suite de Stofflet, Forestier et Amédée de
Béjarry. Ils.y traînaient trois ou quatre cents prisonniers
qu'ils épargnèrent comme à Laval, à la
prière de quelques nobles femmes.
Les Vendéens étaient encore vingt-cinq mille environ,
mais tous plus ou moins épuisés, tous chargés
de femmes, d'enfants, de vieillards et de malades au nombre de près
de quarante mille, lorsque le 10 décembre, ils arrivèrent
au Mans. Ils avaient avec eux, dit un historien « 30 pièces
de bons canons de bronze, des charettes chargées de blé,
une cinquantaine de carrosses remplis de femmes, plus de cinquante
épouses d'officier étaient à cheval. »
Le défilé des Vendéens dura plus de quatre heures
; de la tête à la queue, il y avait plus de trois lieues
de distance.
A mesure qu'ils arrivaient, ils se logeaient dans les maisons particulières
par 60, 80, 100, réclamant « des vivres, des chemises,
des bas, sabots et vêlements que chacun ne pouvait leur refuser.
»
C'est dans cette situation misérable que Marceau et Kléber
rejoignent, pour les achever, Chabot et Westermann.
Les horribles journées du 12 et 13 décembre se lèvent
alors sur les deux camps.
La Rochejaquelein s'élance d'abord au-devant de l'ennemi,
traverse l'Huisme sur les bords duquel campaient les chasseurs républicains,
et remporte un léger avantage. Mais en rentrant dans la ville
pour y réunir son armée, quel spectacle désolant
frappe ses regards ! Les Vendéens, après un mois de
quasi. inanition, se sont gorgés de viandes, de vins et dorment
ivres morts dans les rues et sur la place publique des halles. Le
général les appelle, les secoue, les harcèle
en vain ; il ne peut mettre sur pied que dix ou douze mille combattants.
Et Westermann, le Boucher des Vendéens, est aux portes
de la ville ! Il repousse les paysans vaincus d'avance, les taille
en pièces, enlève leurs barricades, est rejoint par
Marceau et se rend maître des rues.
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BATAILLE DU MANS (13 Décembre
1793)
Mais les Vendéens, enfin réveillés, s'égaillent
entre la route de Tours et de Chateaudun, repoussent la division Mûller
et les chasseurs de Westermann qui s'approchaient du Mans par le chemin
de la Flèche. En même temps, d'autres Vendéens,
retranchés dans les maisons, font pleuvoir une grêle
de balles ; et, maîtres encore de la moitié de la ville,
tiennent les deux généraux en échec jusqu'au
milieu de la nuit. Alors paraît Kléber, le mercredi 13,
à trois heures du matin, et tout le Mans redevient un champ
de bataille.
« Jamais, écrivait un auteur de ce drame, jamais vous
n'en exprimerez la sanglante horreur ! Figurez-vous les convulsions
de l'agonie aux prises avec les convulsions de la rage ; une armée
de bouchers et de taureaux s'entregorgeant dans un abattoir, ou plutôt
des bandes de démons s'exterminant dans un feu de poudre et
de fumée. La fièvre du sang fut longtemps égale
de part et d'autre, tant le désespoir avait ranimé les
Vendéens. A chaque décharge des Bleus, c'étaient
des cris de : « Vive la République ! » et
puis à chaque riposte des Blancs des cris de « Vive
le Roi ! » si vigoureux, si furieux, si épouvantables
que toutes les murailles de la ville en tremblaient sur leurs bases
! Ensuite il y eut un épuisement général ; les
Républicains tombaient sans haleine à côté
des Royalistes. Westermann lui-même, l'indomptable boucher,
s'endormit dans une maison, d'où les Vendéens fusillaient
ses soldats ! »
MASSACRE DU MANS. - NOBLE ATTITUDE
DE KLÉBER, DE MARCEAU ET DE QUELQUES COMPAGNIES
Bientôt les grenadiers de Kléber reprennent le combat
: ils chargent à la baïonnette, enjambent des monceaux
de cadavres, et après une lutte suprême, la plus horrible
de toutes, ils enlèvent l'artillerie vendéenne. Aussitôt
Bourbotte et Prieur font massacrer les derniers tirailleurs dans les
maisons. Tous s'enfuient alors comme un torrent par la rue Dorée.
La Rochejaquelein seul parvient à régler la retraite
de quelques braves.
Maître de la ville encombrée de morts et de blessés,
de chariots et de canons, Marceau veut y arrêter l'effusion
du sang. Il éloigne donc Westermann qu'il lance à la
poursuite des fuyards. Mais il ne peut d'abord contenir ses propres
soldats ni les sans-culottes, entraînés au carnage par
le maire. Les enfants, les vieillards et les femmes des brigands sont
traqués de maison en maison, rassemblés à coups
de sabre, puis hachés, violés, fusillés. Les
tricoteuses du Mans égorgent avec leurs enfants vingt-sept
mères respectées par un peloton de hussards. A la fin,
l'indignation de Kléber et de Marceau l'emporte : ils arrêtent
de leurs mains les cannibales au milieu de cette orgie sanglante et
les ramènent frémissants au drapeau, en faisant battre
la générale (1).
A côté de ces généreux vainqueurs, nommons
ceux qui se montrèrent dignes de leur obéir. Les grenadiers
d'Armagnac et d'Aunis protégèrent après le combat,
et sauvèrent les malheureux qu'ils venaient de battre. Vidal,
lieutenant,-colonel de hussards, donna son équipement et la
vie à M. d'Autichamps. Une multitude d'offîciers et d'habitants
se dévouèrent ainsi au salut des fugitifs et des prisonniers.
Aussi quel cur n'aurait saigné à la vue d'un
semblable désastre ! Depuis le Mans jusqu'à Laval, où
s'était enfuie l'armée, quinze mille personnes de tout
âge, de tout sexe avaient succombé dans le combat ou
dans la retraite. Sur cette route de quatorze lieues, on ne pouvait
faire un pas sans se heurter à un mort ou à un blessé.
Pas une famille qui n'eût à pleurer une partie ou la
totalité de ses membres. Des communes avaient vu périr
jusqu'à leur dernier représentant (1 - 2).
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(1) Le roman a popularisé
la charmante histoire de Mlle des Mesliers, munie d'un sauf-conduit
de Marceau qui ne la sauva pas à Laval (22 janvier 1794). Ce
furent encore le jeune général en chef, et Kléber,
et leur adjudant-général Savary qui tirèrent
non seulement Mme de Boguais et ses trois filles du milieu de la déroute,
mais en même temps réussirent à apitoyer sur le
sort de toutes les Vendéennes celui-là même des
commissaires de la Convention que sa qualité de membre du Comité
du salut public rendait logiquement le plus implacable exécuteur
des ordres de destruction des brigands. - « Ton intention n'est
sans doute pas, dit Savary à Prieur (de la Marne) que ces femmes
restent exposées aux outrages de la troupe qui nous suit ,
je vais pourvoir à leur sûreté. » «
Oui, tu feras bien, répondit Prieur ! »
(2) Pitre-Chevalier et Chassin. - La Vendée
patriote, T. III, page 419.
(3) La lettre écrite le jour même à
la Convention par Bourbotte Prieur (de la Marne) et Turreau, donne
des détails épouvantables sur la défaite et le
massacre, qui durait depuis quinze heures au moment de l'envoi de
la dépêche. (Chassin. - La Vendée patriote,
T, III, page 416). - Consulter aussi Le Mémoire de Mme
de la Rochejaquelein sur le même sujet, et l'ouvrage fort
intéressant de l'abbé Prunier, intitulé La
Vendée militaire.
MARCHE DOULOUREUSE VERS LA LOIRE.
- BATAILLE ET DÉFAITE DE SAVENAY (23 Décembre 1793)
Après avoir perdu dix mille combattants, presque autant de
femmes, d'enfants et de vieillards, la plus grande partie de leurs
bagages et de leur artillerie, ils arrivent pendant la nuit avec un
reste d'armée qui semble un convoi funèbre. La Rochejaquelein
ne songe plus qu'à reconduire ces infortunés dans leurs
chaumières... si leurs chaumières existent encore !...
Il place les femmes et les blessés au centre : ceux qui ne
peuvent marcher sont portés par les autres... Et cette hécatombe
humaine avance jour et nuit sous la pluie glacée de l'hiver,
et sous l'épée insatiable de Westermann.
Le 14 décembre les Vendéens quittent Laval pour se
diriger sur Ancenis en passant par Cossé, Craon, Pouancé
et Saint-Mars-la-Jaille.- A Craon, l'hôpital, l'église
et les maisons particulières sont encombrés de blessés
et de malades qu'il faut abandonner à la fureur de l'ennemi.
Le 16, sur les dix heures du matin, l'avant-garde arrivait à
Ancenis, conduisant avec elle sur un chariot, une barque prise dans
l'étang du château de Saint-Mars-la-Jaille. La Loire
coulait à pleins bords, et sur la rive droite il n'y avait
qu'un seul bateau. Sur l'autre rive étaient amarrées
quatre grandes barques et toutes chargées de foin. Voyant que
personne n'osait tenter le passage, La Rochejaquelein prit le parti
de passer le premier; il comptait s'emparer de ces bateaux de vive
force, protéger le débarquement, et surtout empêcher
les Vendéens de quitter leurs drapeaux à mesure qu'ils
mettraient le pied sur cette rive gauche, après laquelle ils
soupiraient depuis si longtemps. La Rochejaquelein et Stofflet entrèrent
dans le batelet qu'on avait apporté sur une charrette ; de
Laugerie entra dans l'autre avec dix-huit soldats ; l'avant-garde
tenait les yeux fixés sur ces deux bateaux qui portaient la
fortune de l'armée. En même temps on rassemblait des
planches, des tonneaux, des bois de toute espèce pour construire
des radeaux, pendant que l'abbé Bernier prêchait les
paysans pour éviter tout désordre.- Mais une chaloupe
canonnière venue de Nantes s'embossait vis-à-vis d'Ancenis
et coulait bas les radeaux et les frêles embarcations qu'on
avait improvisées. Trois ou quatre cents Vendéens à
peine atteignirent l'autre bord. La Rochejaquelein, occupé
à faire débarrasser les bateaux de foin, fut avec ses
deux compagnons attaqué et poursuivi par une patrouille ennemie.
Forcé de se retirer au fond d'un bois, dit de Chateaubriant,
« il se retrouve seul dans cette Vendée, au milieu des
champs de bataille déserts où il ne rencontre plus que
sa gloire ».
Séparés ainsi de leurs chefs qu'ils croient morts ou
captifs, les Vendéens s'abandonnent au désespoir. Il
fallut évacuer Ancenis, où l'artillerie de Westermann
venait de lancer quelques boulets. Des soldats abandonnent leurs drapeaux,
vont se cacher dans la campagne, ou remontent et suivent le fleuve
pour chercher un passage. D'autres, confiants dans les émissaires
de Carrier qui promettait la vie sauve à ceux qui rendront
les armes, se dirigent vers Nantes où le proconsul les fait
fusiller à leur arrivée ; enfin mille à douze
cents passent la Vilaine entre Nieux et Redon, pour aller former le
noyau des bandes chouanes qui bientôt désoleront la Bretagne.
- Enfin 10.000 combattants, derniers débris de la Grande-Armée,
arrivent sans général à Nort, où une scission
grave s'opère entre les chefs qui, dit-on, voyant que la dissolution
était prochaine, se partagent la caisse de l'armée.
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Les uns se jettent dans la forêt du Gâvre avec Sapinaud,
Forestier, etc., les autres, arrivés à Blain, nomment
Fleuriot (1) général en chef, au grand chagrin de Talmont
qui les abandonne. La rivalité jusque dans la ruine ! Enfin
quelques milliers de braves, exténués, à demi-nus,
les uns vêtus de robes, les autres coiffés de turbans,
ceux-ci enveloppés de rideaux, commandés par Marigny,
Piron, Desessarts, Donissan, Lyrot, Tinguy, Beauvolliers jeune, l'abbé
Bernier, etc., évacuent Blain, où à l'abri du
château crenelé, ils ont repoussé l'infanterie
légère et s'arrêtent à Savenay, leur dernier
refuge, au milieu d'un cercle de feu tracé par Marceau, Kléber,
Westermann, Beaupuy, Canuel, Savary et toutes les forces républicaines.
Le soir du 22, elles enveloppent la ville et forment un. croissant
sur les hauteurs. Westermann propose d'attaquer pendant la nuit, mais
Kléber s'y refuse, disant « qu'il avait trop bien commencé
l'affaire pour la laisser terminer par un autre ».
Le lendemain 23, à la pointe du jour, Kléber monte
à cheval avec Westermann et Canuel. Il fait avec eux une reconnaissance
autour de la ville, et trace à chacun le chemin qu'il doit
suivre pour l'attaque. C'était le jour suprême de la
grande Vendée : il rie fut pas le moins glorieux. A huit heures
du matin, sous une pluie froide qui entrait dans les pores,
le canon et la fusillade se font entendre. Les Vendéens, les
pieds dans la boue, chargent les premiers avec tant d'impétuosité
qu'ils font reculer l'avant garde. Kléber arrive et la ramène
au feu : Général, nous n'avons plus de cartouches. «
Eh bien ! répond Kléber, ne sommes-nous pas convenus
hier que nous les écraserions à coups de crosses ? »
Canuel tourne Savenay et l'attaque sur la gauche : Marceau se charge
du centre, et la division de Cherbourg s'avance sur la droite. Le
pas de charge se fait entendre partout ; les soldats s'élancent
à la baïonnette, et bientôt les Vendéens,
écrasés par le nombre reculent, non sans vendre chèrement
leur vie.
Marigny, avec les plus braves, portant le drapeau de Mme de Lescure,
revient trois fois à la charge et « intimide la mort
ellemême ». Un enfant de quatorze ans, le jeune de la
Voyrie, ne l'abandonne pas un instant. Les collègues de Marigny
l'imitent de toutes parts. Fleuriot cède enfin, et gagne les
forêts voisines à travers les canons et les fusils, les
morts et les mourants. Marigny, Piron et Lyrot veulent absolument
mourir. Ils rentrent dans Savenay, face à face avec Kléber.
Les deux derniers tombent percés de vingt coups. Lyrot expire
avec son beau cheval blanc connu des deux armées. Marigny fait
mieux que de périr, il assure le salut des autres. Avec deux
canons pointés sur la route de Guérande, il arrache
aux Bleus les femmes et les enfants : « Femmes, sauvez-vous,
tout est perdu ! » s'écriat-il, et une heure durant le
combat recommença. - Un brave canonnier de Cholet servit sa
pièce jusqu'au dernier moment, pendant que succombaient bravement
La Roche-Saint-André Des Nouhes, et le jeune Armand de Beaurepaire,
âgé de 14 ans. Puis Marigny bat en retraite le dernier
avec Mondyon, Donissan et Desessarts.
L'armée vendéenne était dispersée sans
retour. Il ne restait plus à exterminer en détail que
les débris qui n'avaient pas trouvé la mort entre Savenay,
les marais et la Loire (2). C'était l'affaire de Westermann
et de Carrier : ils s'en acquittèrent parfaitement...
Ici finit l'histoire de la grande guerre si justement nommée
; nous n'ajouterons à l'éloquence des faits que les
paroles suivantes du général Beaupuy adressées
à Merlin de Thionville, le lendemain de la bataille de Savenay.
« Enfin, mon cher Merlin, elle n'est plus, cette armée
royale ou catholique. Des troupes qui ont battu de tels Français
peuvent se flatter de vaincre tous les peuples de l'Europe réunis
contre un seul. Cette guerre de paysans, de brigands, qu'on affectait
de regarder comme si méprisable, m'a toujours paru, pour la
République, la grande partie ; et il me semble maintenant qu'avec
nos autres ennemis, nous ne ferons plus que peloter. »
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(1) Fleuriot, né à Ancenis le 30 octobre
1738, capitaine de cavalerie en 1780 ; chevalier de Saint-Louis, maréchal
des logis aux gardes du corps du roi en 1785 avait été
un des premiers engagés dans la guerre civile, à laquelle
il survécut ; il
mourut le 20 octobre 1824. Avait d'abord servi dans
l'armée de Stofflet, puis dans celle de Charette.
(2) Le butin ramassé au Mans et durant, toute
la déroute jusqu'à Savenay dut être énorme.
« Les cinquantes carrosses » et les carrioles innombrables
qui suivaient « la grande armée catholique » contenaient
tous les effets précieux de la noblesse vendéenne. Les
malheureuses femmes qui avaient accompagné leurs maris, leurs
pères et leurs frères dans cette folle aventure, avaient
sur elles leurs bijoux et leurs bourses. Leur dépouillement
fut sans doute pour beaucoup des vainqueurs une source d'enrichissement
mais aussi de démoralisation profonde.
« Le trésor formé des dépouilles
des églises des villes traversées, et que le faux évêque
d'Agra avait entassées, brisées pour la fonte, dans
trois cabriolets fut saisi sur la place de l'Eperon par les cavaliers
de Westermann. C'est de là que le général tira
« les dépouilles épiscopates » qu'il étala
à la barre de la Convention ». - La Vendée
patriote. - T. II, page 439.
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